Les réseaux électriques en première ligne

Michel Derdevet
Secrétaire général d’Enedis

Le secrétaire général d’Enedis, Michel Derdevet, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier « Energie, pour des réseaux électriques solidaires », écrit avec l’historien Alain Beltran, et Fabien Roques, économiste de l’énergie, pose bien le sujet de la transition énergétique et de la solidarité des territories.

Valeurs Vertes : Les réseaux de distribution d’électricité sont aujourd’hui, selon vous, au coeur de nombreux défis de la transition énergétique. Pourquoi ?
Michel Derdevet :
Avec la transition énergétique et la révolution numérique, la distribution d’électricité a pris effectivement, au tournant du XXIème siècle, une nouvelle dimension, au coeur des enjeux du futur. Côté production d’abord, 95% des nouvelles énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, …) se raccordent désormais directement à ces réseaux basse et moyenne tension, qui deviennent ainsi de fabuleux réseaux de collecte. Or ces énergies renouvelables vont continuer à se développer massivement dans les prochaines années. Elles représentaient l’an dernier 32% de la production d’électricité en Europe ; mais certains experts envisagent qu’elles puissent fournir, d’ici 2040, jusqu’à 70% de cette production. Une vraie « lame de fond », due à la baisse continue des coûts des technologies (avec des prévisions à cette échéance de – 41% pour l’éolien et de – 60 % pour le solaire), qui aura une influence directe sur les infrastructures de distribution !
Le système électrique devra, en effet, prendre en compte l’intermittence et le caractère aléatoire de cette production renouvelable, ainsi que toutes les potentialités liées à une demande mieux anticipée et maîtrisée, en envisageant des interactions innovantes avec les « consomm’acteurs ». Car, côté consommation, ce réseau devra aussi accueillir le développement d’usages nouveaux, tels ceux du véhicule électrique ou de l’autoconsommation. Et les compteurs communicants, comme Linky, ainsi que les objets connectés, de plus en plus nombreux au fil des réseaux, permettront aux consommateurs de devenir de vrais acteurs de leur propre politique énergétique.
Enfin, la montée du fait local, du poids croissant des villes et métropoles en particulier, est incontestable. Elle « challenge » les énergéticiens d’hier et d’aujourd’hui, qui devront intégrer les attentes de ces collectivités et co-construire avec elles les solutions de demain.

V.V. : Quels pourraient en être les bénéfices ?
M.D. :
Ils sont nombreux pour les collectivités locales, comme l’amélioration de la qualité et de la sécurité des réseaux, l’appui au développement des véhicules électriques et des infrastructures de recharge, et plus généralement la mise à disposition de données nouvelles, permettant d’enrichir les différentes politiques locales sociales, de transport.
Cela incitera aussi à plus d’économies d’énergie. Grâce à une meilleure information, à un pilotage plus fin, à distance, de la demande et des différents équipements, les investissements sur le réseau seront optimisés, et cela favorisera l’innovation des PME et des start-up, à travers une démarche open-data. Au final, cela permettra l’exploitation du potentiel énergétique local – chaque territoire ayant ses propres caractéristiques – et le développement d’usages plus flexibles.
Enedis, dans le cadre du Plan réseaux électriques intelligents de la nouvelle France industrielle, avait déjà initié un premier déploiement à grande échelle de solutions industrielles smart.
Parmi ses objectifs : déclencher un effet d’entraînement économique pour toutes les parties prenantes, accélérer le déploiement d’un socle cohérent de solutions innovantes, à maturité sur une aire géographique spécifique. Nous retrouvons la notion de la pertinence des territoires pour une transition énergétique, articulée autour de trois dyna miques. En premier, la planification énergétique (évolution du mix énergétique, contribution aux grands projets de planification urbaine) ; en second, la transformation et la meilleure maîtrise des usages, notamment en matière de précarité et de rénovation énergétique ; en troisième, des solutions innovantes, telles ces plateformes de données au service de la ville durable et de la valorisation du potentiel énergétique.

V.V. : Avez-vous des exemples concrets ?
M.D. :
Tous ces objectifs se retrouvent dans différents projets smart grids en France. « Watt et moi », un programme mené de 2012 à 2014 entre le bailleur Grand Lyon Habitat (qui loge 60 000 personnes), et ERDF (notre ancienne appellation) a testé, sous l’égide de la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie), un dispositif pédagogique d’accès aux données de consommation d’électricité pour les locataires.
« Issygrid » créé au centre du quartier d’affaires Seine-Ouest à Issy-les-Moulineaux a rassemblé les principaux composants des éco-quartiers et des smart cities, avec un « mix » de production photovoltaïque, de cogénération et de stockage d’électricité (dans les bâtiments et les postes de distribution publique), d’autoconsommation et de véhicules électriques. Cette initiative a réuni, sur le plan industriel, les principaux acteurs des smart grids.
Quant au projet « Nicegrid » il concernait un quartier solaire, dans la commune de Carros, où différentes solutions de stockage d’électricité ont été évaluées, servant à mieux gérer les pointes de consommation.

V.V. : Comment faire face aux besoins croissant des métropoles ?
M.D. :
D’abord un constat : la métropolisation est en marche. Déjà, 52% de la population mondiale est urbaine et, en 2025, les 600 plus grandes villes rassembleront 2 milliards d’habitants, soit 25% de la population mondiale. En 2050, 2/3 des habitants de notre planète vivront en zone urbaine. Et toutes ces villes/mégalopoles souhaiteront devenir des territoires verts. Mais, face à cette mutation, il ne s’agit pas d’oublier les autres territoires, tous ces équilibres inter- régionaux et globaux qu’il faut prendre en compte si l’on veut concilier système et société. Ainsi, l’Ile-de-France, première région consommatrice d’électricité, importe plus de 90% de sa consommation, venue de régions périphériques.
Demain avec le Grand Paris, c’est 4000 MW supplémentaires qu’il faudra fournir pour les J.O de 2024, et tout l’essor envisagé de notre capitale.
Au-delà de la production endogène, et des efforts locaux en terme de maîtrise de la consommation, l’électricité produite viendra peut-être de moyens renouvelables localisés dans des territoires ruraux : Somme, Oise, Creuse, Cantal, Haute-Loire, Lozère. L’Aveyron a déjà une production installée d’ENR de 74 MW ! Au plan régional, ces déséquilibres se confirment.
La moitié de la production éolienne française est concentrée dans le grand Est et dans les Hautsde- France. L’Occitanie et l’Aquitaine- Limousin-Poitou-Charentes rassemblent, eux, la moitié de la production photovoltaïque. Il faut donc penser la France électrique de demain dans ses échanges entre territoires et ses solidarités, loin d’une vision régressive, où chacun s’enfermerait dans une autarcie énergétique.

V.V. : Justement, votre livre est sous-titré « pour des réseaux électriques solidaire ». Comment définissez-vous cette solidarité ?
M.D. :
Alors que l’industrie électrique a émergé au début du XXème siècle de façon décentralisée, spécialement dans les villes, elle s’est développée ensuite de façon centralisée autour de technologies dominantes. Des ruptures technologiques, sociétales, économiques remettent aujourd’hui en question cette organisation traditionnelle de notre industrie, et impulsent une dynamique de développement local.
Grâce aux nouvelles technologies, nous pouvons envisager des modes d’organisation combinant, demain, l’échelon local et le niveau national dans des formes de « mitigation » à imaginer.
La deuxième évolution majeure concerne les usages et les comportements, qui évoluent en profondeur ; les « consomm’ acteurs » participent de manière active à la gestion de leur électricité au travers « d’effacement ou de reports de consommation » voire, en devenant des auto-producteurs. Cette tendance de fond transforme la distribution de l’électricité en une formidable plateforme de nouvelles solidarités énergétiques.
De nouveaux modes de mutualisation et d’échanges sont en train d’émerger (blockchains, …). Et les missions traditionnelles des opérateurs de distribution et de transport d’électricité vontelles- mêmes évoluer, dans un cadre nouveau de cohérence, régional et national, afin d’assurer la transition énergétique des territoires. ■




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