Brice Lalonde, sans lui l’écologie n’en serait pas là. Son engagement en faveur de la nature sans oublier l’humain a été une réussite et il a bousculé bien des bastions du conservatisme.
V.V. : Comment avez-vous vécu les évolutions et le changement de l’écologie, durant ces 25 dernières années ?
Brice Lalonde : Mon engagement écologique a commencé dans les années 1970 avec Apollo et les premiers pas sur la lune. Mais aussi avec le premier Sommet de la Terre, à Stockholm, en 1972. J’assiste aujourd’hui, sans déplaisir, à la fin des partis politiques classiques et à la conquête de l’écologie. Dans les entreprises également le mouvement écologique est particulièrement puissant. L’écologie féconde l’économie et il faut se battre pour la diffuser partout. On n’obtient rien sans bataille.
V.V. : De 1992 à nos jours, quels sujets ont été le plus pris en compte par la communauté internationale ?
B.L. : Au sein de la communauté internationale il y a une absence de leadership. Chaque Etat défend ses intérêts. Avec le Sommet de la Terre, on a assisté peu à peu à la prise de conscience de l’écologie, à l’importance de l’agriculture à l’échelle planétaire. On a pris conscience de la présence de la biosphère, de la couche d’ozone. Cela a entraîné des questions lourdes qu’il faut savoir traiter. En ce moment ce sont les océans qui focalisent l’attention.
V.V. : Que pensez-vous de la prise en compte, de plus en plus forte, de l’Europe en matière d’environnement ?
B.L. : Grâce à l’Union Européenne, la France et d’autres pays ont beaucoup progressé sur les questions d’écologie. Actuellement, dans notre pays, 70% des réglementations concernant l’environnement, le développement durable, ont été mises en place grâce à l’Union Européenne. Alors, ceux qui disent que l’Union européenne est l’ennemi de l’écologie ont bien tort.
V.V. : Quelles sont les mesures européennes les plus emblématiques, les plus porteuses d’espoir pour le futur ?
B.L. : Les lois sur l’eau, la protection de la nature, toutes ses mesures sont très fortes. Mais le plus intéressant concerne le passage aux directives sur les produits eux-mêmes. Aujourd’hui, on attache davantage d’attention à la consommation des produits. C’est ça l’avenir. Il faut développer l’écolo-conception, l’économie circulaire, lutter contre l’obsolescence programmée, la surconsommation… L’Union Européenne est leader dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut que notre pays l’aide à continuer ses efforts, mais ce n’est pas si simple.
V.V. : Que vous a apporté votre expérience de maire à Saint-Briac-sur-Mer (Ille-et-Vilaine) de 1995 à 2008 ?
B.L. : Être maire en France, c’est être au plus près de la population. C’est appliquer les lois mises en place par le ministre Lalonde et se rendre compte que ce n’est pas tout le temps aussi simple qu’on le pense. Les maires ont peu de moyens à leur disposition, peu d’argent. J’aurais préféré être maire avant d’être ministre pour prendre en compte ces notions. Mais c’était un travail passionnant. On est vraiment confronté à la réalité quotidienne, à la pauvreté, la misère. On réalise alors à quel point une petite aide financière peut avoir d’importance pour certaines personnes. On voit aussi ce que l’on peut faire pour l’environnement à petite échelle. Saint-Briac-sur-Mer étant près de l’eau, j’ai particulièrement concentré mes actions autour de la protection de cette dernière. J’ai d’ailleurs été le premier à recycler l’eau, après l’épuration, pour arroser des golfs.
V.V. : Concernant le dérèglement climatique, quelles sont les mesures d’urgence qu’il faudrait préconiser ?
B.L. : Il y a un double objectif. Les principales sources d’électricité sont le charbon et le bois, entraînant la déforestation. La priorité demeure au plan mondial l’arrêt du charbon. Des pays en développement, comme l’Afrique et l’Asie se mettent à utiliser cette énergie. Tant que l’Allemagne n’aura pas montré l’exemple et n’arrêtera pas le charbon, les autres pays ne le feront pas. Il faudrait sortir du charbon avant de sortir du nucléaire, c’est une priorité plus importante. Ensuite, il faudra sortir du pétrole. On oublie souvent que d’autres sources d’énergies existent. La nouvelle génération manque d’artisans capables d’installer des panneaux photovoltaïques, de plombiers qui pourraient mettre en place des chauffe-eau solaires chez les particuliers… Il faudrait financer la formation d’au moins 500 000 d’entre eux.
J’étais très choqué de voir la centrale thermique de Gardanne où le nucléaire est remplacé par du bois pour créer de l’électricité. C’est une folie ! Il est certain qu’il y a encore de nombreuses possibilités avec la biomasse, mais cette production est encore plus polluante puisqu’elle crée davantage de CO2. Par convention, cette méthode est jugée neutre. Or, pour qu’elle le soit vraiment il faudrait attendre au moins 100 ans que les arbres repoussent.
Cette nouvelle méthode de production d’énergie risque également de créer des tensions par rapport au prix du bois que l’on va importer du Canada ou de Pologne. C’est une erreur ! Il vaut mieux dans ce cas-là garder le nucléaire.
V.V. : Quels sont les combats qui vous ont tenu à coeur, ceux que vous avez le mieux réussi ?
B.L. : Je suis extrêmement fier de ma loi sur la fin du commerce de l’ivoire au niveau international. Malheureusement, cette interdiction a été levée quelques années plus tard et je crains qu’un jour il n’y ait plus d’éléphants. Je suis aussi très fier d’avoir réussi à faire adopter une loi sur la création d’un sanctuaire baleinier au sud du 40ème parallèle. Protéger les animaux est pour moi très important.
J’ai accordé une réduction fiscale à l’essence sans plomb et imposé le pot catalytique aux constructeurs automobiles. J’ai aussi fait adopter un décret préconisant la responsabilité élargie du producteur qui consiste à ce que les entreprises prennent en charge la fin de vie de leurs emballages, au nom de la responsabilité sociétale et environnementale. Il s’agissait de mon dernier décret avant de quitter le gouvernement.
Avec Michel Rocard, nous avons signé en 1991 le traité de Madrid sur la protection de l’Antarctique pendant 50 ans.
J’ai mené toutes ces actions par amour pour l’écologie et pour le contact avec les gens.
V.V. : Quelles actions souhaitez-vous mener en tant que président de l’Académie de l’Eau ?
B.L. : Il faut créer un GIEC sur la contamination chimique de l’eau. Les produits chimiques sont partout, pas un coin dans le monde n’y échappe. On en retrouve dans la mer, dans le sol et dans notre sang. Il n’y a plus un seul endroit vierge de cette pollution. Il faut s’entendre avec l’industrie chimique et leur faire prendre leurs responsabilités.
V.V. : Qu’attendez-vous des 25 années à venir ?
B.L. : Je voudrais voir le développement de l’Afrique qui éviterait à 40 000 désespérés de se noyer dans la mer. Il faudrait une coopération de l’Europe pour développer une Afrique sans pétrole, sans charbon.
Ce qui me fait également rêver c’est de penser qu’on n’est peut-être pas sûr que l’espèce humaine soit achevée. Il existe sans doute une étape supplémentaire. Je ne parle pas du transhumanisme mais d’une humanité pré-figurée par la science, les ordinateurs. Je souhaiterais voir la création d’une humanité apaisée, d’êtres connectés entre eux. Une espèce humaine qui prendrait conscience de l’écologie, de la fraternité et utiliserait à bon escient les nouvelles technologies.
Aujourd’hui, certains robots sont créés pour tuer, comme les drones qui lâchent des bombes. Il faudrait un code de conduite des robots, des principes.
L’écrivain de science-fiction, Isaac Asimov avait énoncé, dans « Trois lois de la robotique », des règles suivant lesquelles tous les robots qui apparaissent dans ses romans devaient obéir et dont la première était : « Un robot ne peut pas porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre à un être humain d’être exposé à un danger ». J’espère que nous ne sommes pas en train de nous éloigner de cette règle. ■