Voilà un ouvrage étonnant, celui d’un géographe, dessinateur hors pair, et écrivain amoureux d’une Afrique Centrale qu’il parcourt depuis plus de 50 ans. Christian Seignobos, directeur de cherche émérite à l’IRD, auteur de nombreux livres et articles nous fait partager ses voyages initiatiques à travers sa connaissance très fine de ces paysages, de ces peuples à la pensée complexe et riche. Il nous offre en plus d’extraordinaires planches de dessins esquissées ou peaufinées au détour d’un paysage ou d’une rencontre. C’est un observateur, un témoin, essayant de lire dans ces prairies herbeuses ou dans ces villages oubliés, le mode de vie des habitants d’autrefois et d’aujourd’hui. Toutes « ces vies de travail », de « connaissances secrètes » que le simple visiteur ne peut pas voir. Toujours assortis de croquis, il aborde de nombreux thèmes : l’agriculture, la biodiversité, dont il nous révèle bien des secrets comme celui des « plantes de famine » à consommer à petites doses. Il parle de l’élevage, de la pêche, de la faune sauvage mais aussi des situations politiques extrêmes qui sèment l’insécurité au Cameroun, au Nigeria, ou en République centrafricaine. A la lecture de ces carnets on comprend mieux la géopolitique de ce continent comme les situations de crise autour du lac Tchad. Dans chaque page, ce fin observateur de l’Afrique centrale nous la dessine et esquisse à travers elle bien des portraits. Les grandes mutations de ce continent ont commencé. Ces mondes oubliés expliquent ce que l’Afrique doit conserver de ce patrimoine fabuleux pour réussir un développement humain soutenable. L’auteur rappelle dans sa postface qu’il est avant tout un témoin. Il a connu ces territoires au début de la coopération et formé des élèves, des scientifiques. Depuis il a vu se lever une menace dont nous n’avons pas pris toute la mesure. « Lorsque le mouvement Boko Haram a pris corps au Nigéria, non loin de la frontière du Cameroun et qu’à Maiduguri, dans le prestigieux empire millénaire du Bornou, des étudiants de l’université ont déjà en 2001, brûlé masters et thèses devant les mosquées dans des autodafés avérés, j’ai compris, écritil, que rien ne serait plus comme avant. Boko Haram, littéralement l’école de l’impureté, du mal, était celle que j’avais servie au Cameroun (lycées) et au Tchad (université). Remise en cause par un islam radical, elle n’était plus la doxa imprescriptible que l’on pensait. » Aujourd’hui Christian Seignobos, lorsqu’il ouvre ses carnets de terrains, sait que ces « géographies excessives » telles qu’il les définit deviennent à leur lecture, plus compréhensives et il les parcourt comme des bréviaires…