Face à l’urgence climatique, de nombreuses voix pointent l’agriculture, et plus particulièrement l’élevage d’animaux domestiques, comme un des principaux responsables de l’émission de gaz à effet de serre (GES). Selon un rapport de la FAO de 2013, cette activité serait à l’origine d’environ 15% des émissions totales de GES, dont 9% pour les seuls bovins. Ces élevages sont également accusés de produire une grande quantité d’ammoniac (NH3) responsable de l’acidification et de la nitrification des sols. Fort de ces chiffres, le 5ème rapport du GIEC recommande une diminution importante de la consommation de viande et estime que suivre les recommandations de la Harvard Medical School serait aussi efficace que de diviser par deux le parc automobile mondial. Autre solution proposée par certains acteurs du monde de l’environnement : consommer des insectes !
La consommation d’insectes comestibles ne constitue pas une pratique nouvelle en Europe. On en trouve en effet des traces de- puis l’Antiquité. Le philosophe grec Aristote (384-322 avant J.C.) faisait déjà l’éloge des nymphes de cigales en les décrivant comme ayant une saveur exquise. Les romains quant à eux se délectaient des larves de scarabées et la Bible et le Coran font également état de la consommation d’insectes. Rappelons aussi que l’on retrouve dans les Bencao chinois (encyclopédies médicales anciennes) mention d’espèces d’insectes médicinaux depuis plus de 2 000 ans. Aujourd’hui encore plus de 300 espèces d’insectes sont utilisées en médecine traditionnelle chinoise et l’on recense plus de 2 000 espèces d’insectes comestibles de par le monde. Dans un récent rapport la FAO estime qu’environ 2,5 milliards de personnes – principalement en Afrique, en Asie et en Amérique centrale – se nourrissent quotidiennement d’insectes. On a tendance à croire que cette population consomme des insectes pour lutter contre la faim à défaut d’autres choix, ce qui est généralement faux. En effet, les plats préparés par ces consommateurs sont considérés comme des mets savoureux, gustatifs et intéressants d’un point de vue nutritionnel. Preuve, s’il en faut, que ces habitudes culinaires ne sont pas systématiquement synonymes de pénurie alimentaire, la multiplication des marchands de brochettes de scorpions, étoiles de mer, vers à soie … sur le marché de nuit à Pékin.
Les chercheurs de l’Université de Wageningen (Pays-Bas) ont récemment montré que l’élevage d’insectes comestibles comme les criquets, les grillons, ou les vers de farine, produisait nettement moins de gaz à effet de serre que les élevages de bovins ou de porcins. Concrètement, la production d’un kilo de vers de farine en- traine l’émission de 10 à 100 fois moins de GES que celle d’un kilo de viande de porc. A poids égal, ces derniers génèrent également 8 à 12 fois plus d’ammoniac que les criquets et jusqu’à 50 fois plus que les sauterelles. Autre avantage de ce nouveau type d’élevage : un taux de conversion inégalé. En ef- fet, les animaux ne transforment pas l’intégralité de la nourriture qu’ils ingèrent pour grossir et se développer, une partie étant notamment utilisée pour se chauffer. Les insectes ne produisant pas de chaleur, la majorité de ce qu’ils in- gèrent est donc dédiée à la croissance. Bien que les chiffres varient considérablement selon les types d’élevage, on peut considérer qu’il faut entre 7 et 10 kg d’aliments pour produire 1 kg de viande bovine alors que ce rapport n’est que de un à deux pour les insectes.
Une quinzaine de criquets cuits, soit environ
30 grammes, correspond à la valeur énergétique d’un bifteck de 160 grammes
Autre argument en faveur des in- sectes comestibles : leurs qualités nutritionnelles. Le grillon contient ainsi trois fois plus de protéines que le bœuf à poids égal , ce qui signifie que 100 g de grillons couvrent plus de la moitié des be- soins quotidiens en protéines d’un adulte de 70 kg. La valeur énergétique (protéines plus matières grasses) pouvant être jusqu’à cinq fois plus élevée chez les insectes que chez les ruminants, une quinzaine de criquets cuits, soit environ 30 grammes, correspond à la valeur énergétique d’un bifteck de 160g !
Les insectes sont également riches en vitamines, les principales étant : la B1 qui permet le bon fonctionnement du système nerveux et des muscles, la B2 qui joue un rôle primordial dans la transformation des aliments simples en énergie et enfin la B3 pour le transport de l’oxygène aux cellules ou le fonctionnement du système digestif et du système nerveux. Rappelons également que les larves d’abeilles possèdent une très forte teneur en vitamine D. Éssentiels à notre organisme, les minéraux se trouvent en grande quantité chez les insectes sous la forme de calcium, de fer, de zinc et de phosphore. Il en est de même pour les acides gras essentiels, et notamment l’acide lin-oléique. De type oméga-6, il intervient dans la fabrication de la membrane cellulaire. Une mygale grillée est l’équivalent d’un steak de viande rouge en terme de nutriments ! Enfin, signalons que la teneur en fibres des insectes est plus élevée que celle contenue dans la viande traditionnelle et comparable à celle des légumineuses. De plus, le taux de lipides de la chair des sauterelles, criquets ou fourmis est inférieur à 5%.
Si la consommation humaine d’insectes n’est toujours pas autorisée par la règlementation européenne sans une autorisation préalable de mise sur le marché (AMM) délivrée par les autorités sanitaires, il est néanmoins possible de nourrir les animaux de compagnie (chiens et chats notamment) et les poissons d’élevage avec des farines d’insectes. Il est donc probable que, sans le savoir, nous ayons déjà consommé des insectes via un filet de dorade ou de bar d’élevage, et peut-être demain via un filet de poulet ou une côte de porc …
Compte tenu du développement rapide et continu de l’aquaculture et du fait qu’il faut entre 3 et 5 kg de poissons sauvages pour produire 1 kg de poissons d’élevage, le recours aux farines d’insectes permet de réduire les prélèvements sur les ressources halieutiques. Autre atout des élevages d’insectes, outre le fait qu’ils ne nécessitent que très peu de sur- faces au sol, la possibilité de les nourrir avec des sous-produits et/ ou des déchets alimentaires d’origine végétale. Ainsi, les asticots de la société Mutatec installée à Chateaurenard sont nourris avec des fruits et légumes avariés de la vallée du Rhône. Attiré par cette nouvelle forme d’économie circulaire le groupe Veolia a pris récemment une participation dans le capital de la start-up par l’intermédiaire de l’une de ses filiales spécialisée dans le traitement des déchets organiques. Le groupe Suez, s’est quant à lui associé à NextAlim, autre start-up qui a bénéficié d’un programme de recherche de neuf millions d’euros porté par l’ADEME. Outre Suez, d’autres sociétés ont participé à la levée de fonds de la start-up qui dispose de sept millions d’euros pour industrialiser son procédé, et faire passer sa capacité de production d’une tonne par jour à 2 000 tonnes par an.
Principal obstacle au développement à grande échelle de la consommation humaine d’insectes « l’effet Beurk » qui demeure un frein pour beaucoup de consommateurs occiden- taux. Comme le dit le sociologue Claude Fischler, spécialiste de l’ali- mentation « Dans nos cultures eu- ropéennes, les insectes ne sont pas considérés comme des aliments. Il ne faut pas sous-estimer la force du dégoût, qui est une expression très puissante ». Alors demain des « Insteak » dans nos assiettes ? Rendez-vous dans quelques années pour un premier bilan. ■
(1) Le taux de protéines des insectes comestibles peut atteindre 75% sur extrait sec.
(2) En 2016, la production halieutique mondiale a atteint une valeur record d’environ 171 mil- lions de tonnes, le secteur de l’aquaculture comptant pour 47% de ce chiffre, voire 53% si l’on exclut la production destinée à des utilisations non alimentaires. La production de la pêche de capture étant relativement stable depuis la fin des années 1980, c’est à l’aquaculture que l’on doit la croissance continue et impressionnante de l’offre de poisson destiné à la consommation humaine.