Alors que la demande énergétique continue de croître, le défi des trente prochaines années, prescrit par les différents rapports du GIEC et par l’Accord de Paris, sera de parvenir à accommoder cette demande tout en réduisant par deux les émissions de CO2. Une rencontre organisée par le Centre Energie & Climat, dans le cadre des cycles de conférences du 40ème anniversaire de l’Ifri, montrait combien la réponse des États face à cet enjeu est encore inégale.
Si l’Europe et les États- Unis ont déjà entrepris la transition, d’autres sont en situation d’urgence énergétique et doivent avant tout répondre à la demande et aux besoins de développement. Sur les dix premiers pays émetteurs de CO2, seuls trois ont déjà mis en place des stratégies de décarbonation. Certains pays, parmi les plus responsables d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, sortent peu à peu de leur torpeur. En Inde l’énergie solaire se déploie à grande échelle, découvrant un potentiel qui lui assure un avenir plus prometteur que celui du charbon. La forte baisse des coûts du solaire a permis à davantage de pays de se doter de ces technologies. La Chine, déjà leader du déploiement des énergies renouvelables, devrait rehausser ses ambitions l’année prochaine.
La Russie quant à elle découvre depuis peu son intérêt à lutter contre le réchauffement climatique, dont l’impact sur les températures de l’Arctique est 2,5 fois plus important que dans les autres régions du monde. Enfin, malgré le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, l’enjeu climatique est bien présent dans la campagne présidentielle américaine.
Tour d’horizon européen
Deux indicateurs témoignent que l’Europe semble, elle aussi, prête à porter ses responsabilités. Le levier financier est présent pour soutenir la transition avec un budget européen verdi, qui consacre 20% de ses ressources à la lutte contre le changement climatique.
En mars dernier, le Parlement européen avait évoqué la possibilité d’augmenter cette part à hauteur de 30% de son budget. L’idée de trans- former la Banque Européenne d’Investissement (BEI) en « banque du climat » fait l’objet d’une négociation, freinée par le scepticisme de certains pays européens comme la Pologne ou l’Italie.
Si elle aboutissait, elle marquerait un tournant sans précédent dans le secteur financier : arrêt total du financement des énergies fossiles, inauguration d’une politique de prêt ne finançant que des initiatives zéro carbone. Les certificats d’économie d’énergie européens, autres outils financiers, pourraient aller plus loin dans l’accompagnement des solutions énergétiques, telles que la mobilité durable, l’installation de photo- voltaïque et la décarbonation des consommations énergétiques.
Le souci grandissant de l’opinion publique pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre commence à mobiliser les secteurs de l’industrie, des transports et de l’agriculture. En Allemagne, le revirement de la commission charbon a démontré sa volonté d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, en promettant la fermeture de ses centrales électriques fonctionnant au charbon, impliquant de développer des moyens de production d’électricité décarboné. François Dassa, directeur de la Mission Prospective et Relations internationales chez EDF, estime que pour parvenir à répondre à l’augmentation de la consommation finale d’électricité, les investissements dans les énergies renouvelables devront être multipliés par trois ou quatre. L’obstacle majeur pour atteindre ce nouveau potentiel demeure l’opposition de la population, en particulier vis-à-vis de l’éolien terrestre. Les capacités installées en Allemagne ont décru de 85% par rapport à l’an dernier en raison de la refonte des modes de soutien et de la montée des oppositions locales. L’Agence de l’énergie allemande en a déduit que la neutralité carbone ne pouvait pas être atteinte tout en bouclant le mix énergétique allemand si le nucléaire et la technologie CCS (séquestration géologique du CO2) étaient mis de côté. En se reposant uniquement sur les énergies renouvelables, l’Allemagne serait contrainte d’importer 30% de ses besoins énergétiques.
Autre bon élève européen, l’Angleterre qui a su se lancer sur la route des renouvelables à moindre coût tout en préservant un mix énergétique équilibré.
Grâce à son potentiel d’éolien offshore, elle compte atteindre un tiers de son mix énergétique en renouvelables, complété par un autre tiers issu du nucléaire et un dernier par des énergies fossiles associées à une technologie CCS. La Grande-Bretagne est parvenue à rassurer le secteur industriel avec des contrats de long terme pour tous les investissements dans les renouvelables, intenses en capitaux. Tous les moyens de production bas carbone disposent ainsi d’investissements de long terme qui donnent de la visibilité aux opérateurs et permettent de faire baisser le coût du capital.
Quel soutien de la finance verte
Le monde de la finance pourrait être la clé permettant de soutenir la marche des renouvelables qui s’éveille lentement en Europe. Pour Orith Azoulay, directrice du Département finance verte chez Natixis, le secteur financier exprime de plus en plus une volonté de soutien des entreprises énergétiques et de mobilisation des capitaux privés.
Deux approches sont possibles. D’une part, des investisseurs institutionnels ou bancaires peuvent investir directement dans un projet identifié au préalable. Il peut s’agir par exemple d’« actifs verts », portant des projets à bénéfice environnemental et qui, idéalement, ne dépendent pas d’énergies fossiles. Ce type de financement bancaire peut ainsi soutenir des industries dans le développement de technologies encore immatures. D’autre part, une deuxième vague d’investissements est dédiée au financement des organisations pour améliorer leur stratégie de décarbonation. Le succès de ce type d’investissements se traduit par le développement récent et rapide des instruments KPI (Key Performance Indicators) qui permettent de moduler la marge payée par une entreprise pour se financer en fonction de l’atteinte de ses objectifs de transition.
Certaines fondations prennent ainsi des engagements fermes en décidant d’imposer un taux d’intérêt sur leur prêt dans le cas où leur cible de réduction d’émissions ne serait pas atteinte.
Toutefois, une étude menée par Natixis montre que si 75% des investisseurs estiment qu’ils seraient prêts à s’impliquer dans le finance- ment de la transition, 60% pensent qu’ils ne disposent pas d’outils suffisants pour évaluer cette transition et savoir dans quels secteurs investir. La société d’étude et de conseil Carbone 4 est l’un des organismes qui tentent de répondre à ce manque d’informations en fournissant des évaluations de projets et en déterminant l’empreinte carbone des financements.
Il reste encore cependant à définir quels investissements peuvent être qualifiés de durables dans le contexte récent de la transition énergétique. La banque européenne par exemple exclut de sa taxonomie d’investissements verts le gaz naturel. Est-ce justifié dans la mesure où la Pologne ne pourra pas effectuer sa transition énergétique en passant directement du charbon à l’éolien et au solaire mais devra s’appuyer sur des énergies moins propres comme le gaz ? Enfin le coût socio-économique de la transition, ainsi que le risque d’une dépendance stratégique vis-à-vis d’autres pays sont des écueils encore mal estimés sur le chemin de l’indépendance aux énergies fossiles.
Face à tous ces enjeux, que peut faire l’Europe ? Financer la recherche et le développement des technologies décarbonées demeure une étape primordiale pour rendre l’énergie renouvelable compétitive.
Doit-on prendre l’Angleterre comme modèle et encourager les contrats de long-terme, les garanties de capacité et un prix plancher du CO2 ? ■