Tribune de Loic Le floch-Prigent
Depuis des mois tout le monde en parle, tous les gens des villes en sont donc persuadés, ils risquent désormais leur vie en mangeant des produits de la ferme car le glyphosate est là tapi dans chaque parcelle de légume ou d’animal ! Quel exploit ! Jusqu’à faire éclater l’Europe sur une décision en principe prise à la majorité des membres.
Compte tenu de la violence des arguments échangés et du nombre de spécialistes autoproclamés je prends des risques à écrire sur ce sujet, mais j’ai constaté qu’il manquait trois choses dans les débats enflammés quotidiens, un peu d’histoire, une position de scientifique et celle de l’industriel.
Le glyphosate est un herbicide dit foliaire, systémique et non sélectif absorbé par les feuilles, il a été découvert par un suisse en 1950 et développé par le groupe américain Monsanto à partir de 1974 sous la marque « Round up » avec un additif. Il est d’un cout faible, il a une bonne efficacité et possède une bonne souplesse d’utilisation, c’est l’herbicide le plus utilisé pour les terres agricoles mais aussi pour les espaces urbains et industriels.
En examinant ses composants, les scientifiques ont toujours conclu qu’il ne peut pas réagir sur l’ADN , et ont donc décidé depuis son origine qu’il ne pouvait pas être cancérigène . Ce sont les observations recueillies « historiquement » par le Président de Rhône -Poulenc que j’étais de 1982 à 1986. La filiale Rhône-Poulenc Agrochimie (RPA) de ce groupe dont le siège et le laboratoire de recherches étaient à Lyon a donc travaillé sur les gènes résistant au glyphosate pour ne pas laisser le champ libre à Monsanto de proposer son produit herbicide et ses semences en monopole. C’est ainsi que RPA s’est lancé dans les biotechnologies ce qui aurait pu le faire rentrer aussi dans le secteur des semences. A mon départ en 1986, le secteur agrochimie est très rentable malgré une politique commerciale très agressive et peu sympathique du groupe Monsanto qui a une certaine tendance à l’impérialisme, et même à la brutalité. Mais les agriculteurs se sont habitués à ce produit qui leur permet juste avant le printemps de nettoyer la terre et d’augmenter les rendements sans affecter la qualité des produits. Le glyphosate devient donc le symbole de l’agriculture intensive pour certains, et pour d’autres celui d’une agriculture efficace.
Les combats contre la chimie dans l’agriculture commencent alors, chacun sortant ses résultats de toxicité de tel ou tel produit sans connaissances chimiques, biologiques ou médicales suffisantes pour évaluer les décisions à prendre mais avec l’idée directrice que les industriels de l’agrochimie, pour se remplir les poches, sont prêts à sacrifier le genre humain en les estropiant de façon définitive. Ils ignorent tout des recherches approfondies qui conduisent nombre de produits découverts à ne pas franchir la ligne de la production et de la commercialisation, les normes sont nombreuses, respectées et efficaces pour la plupart dans nos pays développés du moins. Mon successeur décide en 2002 de se séparer de sa filiale agrochimie vendue à l’allemand Bayer pour se concentrer sur la pharmacie et échapper à toutes les critiques quotidiennes sur son rôle d’empoisonneur alors qu’il est d’abord celui qui doit soigner ses contemporains. Séparer les deux secteurs d’activité est devenu une nécessité sociétale et seul Rhône-Poulenc (devenu Aventis) franchit le pas en vendant tout. Désormais la recherche française est orpheline de débouchés industriels nationaux, mais visiblement personne n’en a cure et on laisse filer un fleuron national bénéficiaire car, à l’époque, la chimie a mauvaise presse.
Le réveil des agriculteurs est brutal lorsque les épidémiologistes du CIRC déclarent en 2015 que le glyphosate, les boissons alcoolisées et la charcuterie sont cancérigènes à partir non de preuves scientifiques mais de statistiques. Comme il est difficile d’effacer le vin et la charcuterie facilement
des pratiques des français, on se lance dans le combat contre le glyphosate car derrière il y a une entreprise, Monsanto, dont les pratiques dans les pays comme le Mexique et l’Amérique latine sont contestées, et que le glyphosate est le symbole de l’agriculture intensive ! la France entière devient experte en glyphosate et surtout dans les villes sans campagne et sans industrie rêvant de généralisation du « bio » et de cultures sur les toits.
Malheureusement pour les détracteurs du glyphosate, il n’y a pas de preuves scientifiques du caractère cancérigène du glyphosate et les agences de l’ONU et l’OMS l’organisation mondiale de la santé le confirment en Mai 2016 ! Malheureusement aussi la bulle médiatique est telle que celui qui ose dire cela est immédiatement traité de criminel et cela est déjà mon cas dans mon entourage, cela sera encore bien pire demain. Je n’y peux rien, je n’aime pas plus Monsanto que vous tous, j’aime manger « Bio » , je n’aime pas la « mal bouffe », je suis défenseur effréné de la nature, agriculteur à mes heures, pêcheur à pieds à chaque marée et chasseur impénitent de champignons, mais la science a parlé et parle, et donc l’humanité ne va pas proscrire le glyphosate et va poursuivre l’agriculture intensive pour nourrir la population mondiale qui ne cesse de croitre tandis que la proportion des mal nourris régresse.
Alors que pense l’industriel ? Qu’après avoir massacré le secteur chimie du pays, on va s’en prendre désormais au secteur de production agricole qui va perdre en compétitivité par rapport à tous ses concurrents , on comprend son émoi, d’autant que pas un autre pays ne suit les arguments du notre ! Les produits de l’Union Européenne bénéficiant du glyphosate pourront continuer à s’écouler dans tous les pays de l’Union. La seule réponse serait :« nous allons rebâtir une industrie agrochimique, nous avons des produits alternatifs crédibles, ils auront les mêmes caractéristiques que le glyphosate, au même prix, et ils seront sur l’étagère dans trois ans , grâce à ces produits nous allons ouvrir une nouvelle ère de la chimie agricole mondiale et nous allons conquérir le marché » …mais pour cela il faudrait avoir des industriels, et il faudrait les irriguer de capitaux ainsi que de résultats de recherche … Je n’ai rien lu de tel, simplement des coups de menton, des anathèmes, des soupçons et même du mépris à l’égard du monde industriel et agricole !
Réveillez-vous, ni les agriculteurs, ni les hommes de science, ni les industriels ne veulent vous empoisonner, mais nous ne pouvons pas passer notre vie en France à considérer que nous avons raison sur tout en nous appuyant sur la discipline statistique et la précaution . La science que l’on nous enseigne est celle qui explique les causes des phénomènes après les avoir observés, pas celle qui fait peur avec des probabilités et cherche ensuite sa légitimité en s’appuyant sur les politiques et les médias.