Les Sciences du Vivant : les oubliées du Bac

L’heure est grave. En classe de Première, comment choisir les spécialités de Terminale où n’existent, pour les scientifiques, que deux options importantes pour le Bac. Les Sciences du Vivant qui conditionnent notre avenir environnemental n’y trouvent pas leur juste place selon Marc-André Selosse. Il nous explique pourquoi.

Les lycéens d’aujourd’hui cherchent souvent une voie qui ait un sens. Certains ont envie de sauver la planète, d’autres de faire leur carrière dans le domaine de l’environnement, du vivant ou de la santé, humaine ou animale. En France, une discipline conjugue géologie et biologie : les fameuses Sciences de la Vie et de la Terre, les « SVT ». Elles représentent une opportunité unique pour une approche globale de l’environnement ou de la santé. En Europe, ces disciplines ne sont pas enseignées ensemble, ce qui limite la com- préhension des liens entre nature, climat, sol, société, santé et alimentation. Pourtant, dans ces domaines nous traversons des moments difficiles.

Nous sommes plongés dans des crises environne- mentales multiples, du climat à la biodiversité, que la génération aux commandes semble impuissante à juguler.

Entrées bien après l’Asie dans la crise du Coronavirus, l’Europe et l’Amérique s’en tirent moins bien, alors que l’expérience asiatique laissait espérer mieux (je le dis sans polémiquer, pour bien marquer notre errance collective).

Nous restons collectivement des nains en matière de compréhension du monde naturel.
Hier, une formation d’honnête homme pouvait s’articuler autour des sciences qu’on disait « humaines » et « exactes », les technologies. Aujourd’hui, si ces disciplines restent vitales, les SVT sont incontournables. Nous devons former des spécialistes, dès la fin du Lycée, qui viendront ajouter leurs savoir-faire au concert des autres disciplines. Aucune discipline ne nous sauvera seule, mais les SVT ne doivent pas être minorées, elles sont au cœur des enjeux du futur. En matière d’interdisciplinarité, si une discipline nous manque, tout sera dépeuplé.

La biologie au cœur du futur

Pragmatiquement, on ne peut conserver que deux spécialités en Terminale. Pour un futur biologiste, la perspective de l’après-bac est hantée par le spectre des « matières de sélection » : Maths et Physique-chimie, que l’on apprend, au-delà de leur intérêt direct pour le métier ou la compétence visée, parce qu’elles comptent dans des épreuves sélectives ou pour le dossier scolaire. Cela a construit par le passé des cursus post-bac où ces matières de sélection occupaient une partie importante de la formation (classes prépa- ratoires, études de médecine, premier cycle universitaire), qui dépassaient leur strict apport technique. Nul ne peut nier l’importance méthodologique des Maths et de la Physique. Nous parlons ici de leur do- sage. Comme la réforme du Lycée a été entreprise sans trop consulter l’enseignement supérieur, les facultés de Médecine ou de Sciences et les classes préparatoires de Biologie envoient des messages peu clairs sur la place des matières de sélection de demain…Quelle place pour la biologie au premier rang de sciences du vivant dans ce contexte ?

Le futur biologiste ou géologue ne peut faire l’économie des Maths et de la Physique, mais il ne peut non plus, négliger les Sciences de la Vie. Sans compter l’épuisement à suivre deux fois 12 heures de spécialités « de sélection » par semaine, sans aborder sa ma- tière de prédilection ! Hélas, seules deux spécialités sont restées en terminale : SVT-Maths, Maths-Physique, ou Physique-SVT.

On prétend que les SVT sont faciles à rattraper, contrairement à la méthode Maths-Physique qui, elle, ne se rattrape pas. Pourtant, cela fait longtemps que les SVT ont développé l’enseignement de méthodes qui leur sont propres : observation, expérimentation, analyse et décision en système complexe, vision non réductionniste, quantification du doute… N’en déplaise à ceux qui ont fait leurs études il y a longtemps et ont peut-être vécu une autre réalité, les SVT sont opérationnelles face à la complexité du monde.

Car une chose est de calculer la vitesse de chute d’une bille supposée ponctuelle dans un gaz parfait sans frottement, une autre est d’analyser la chute d’une cellule de plancton morte dans un océan à salinité variable et sa contribution à piéger du carbone et à lutter contre l’effet de serre.

Bref, les matières et les savoir-faire se complètent mais ne se substituent et ne se hiérarchisent absolument pas. La génération qui l’a cru (et a fait des SVT une spécialisation tardive) a bâti le monde moderne et ses problèmes. La génération qui remettra les Sciences de la Vie, au cœur des compétences nous sortira des ornières actuelles.

Les métiers seront au rendez-vous

Le ministère de l’Agriculture estime que les filières innovantes dans les secteurs des biocarburant, bio- matériaux, etc. génèreront plus de 100 000 emplois sur 20 ans ! Des chefs d’entreprises commencent à constituer leurs équipes avec des ingénieurs agronomes et des économistes pour une meilleure gestion de la complexité.
Avoir fait de la biologie pré- pare aussi aux fonctions managériales. Julien Denormandie, ingénieur agronome, est apprécié au gouvernement

pour sa gestion des dossiers complexes. Enseignant moi-même dans des universités étrangères, à Gdansk en Pologne et Kunming en Chine, je vois avec inquiétude, combien leurs étudiants sont bien mieux pré- parés que les nôtres aux outils et aux concepts de la biologie.

Ils sont plus sensibles, de façon opérationnelle, à la notion d’évolution, l’une des visions propres aux SVT qui permet de placer les causes d’hier et les perspectives possibles demain au cœur de la compréhension actuelle.

C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle, face au Coronavirus en Pologne, mon Université a fermé le 10 mars et le confinement a commencé le 12, alors que mon pays, plus touché, vivait encore des jours insouciants. Ces étudiants de Pologne pourraient faire, demain, le travail pour moins cher que nous : seule une compétence plus forte en SVT pérennisera notre compétitivité.

Évitons de reproduire cette erreur de la pratique abusive des matières de sélection au détriment des matières de prédilection. Elle nous a conduit à manquer de discernement et de compétences et provoqué la crise environnementale actuelle, au détriment de notre santé.

Les parents, un peu perdus, ont les réflexes qui les avaient eux-mêmes sauvés dans l’enseignement d’hier, à travers les matières de sélection. Ce retour en arrière ne sauve pas ni l’avenir ni la vision systémique, écologique et évolutive, de nos vies, de nos civilisations.

Ne faisons pas pire que les Terminales C d’autrefois (qui comptaient quand même deux heures de SVT par semaine), sachons imposer l’apprentissage des Sciences de la vie.

Refuser leurs enseignements aux plus jeunes amplifierait la crise environnementale.

Alors, SVT-Maths, Maths-Physique, ou Physique- SVT ? Ne sacrifions jamais notre matière de prédilection.Ceux qui choisissent Physique-SVT en Terminale ont la possibilité de prendre une option de « Maths complémentaires ».

Lycéens, qui voulez prendre en main le sort plané- taire, sortez-nous de l’erreur ancienne et voyez le monde différemment.
Tirez profit des possibilités élargies de ces Sciences de la Vie et de la Terre pour nous imaginer et construire un monde meilleur, de toute urgence.

Alors, aux SVT, lycéens ! ■




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