Sherpa, le Comité contre l’Esclavage Moderne (CCEM) ainsi que six anciens employés indiens et népalais portent plainte aujourd’hui contre Vinci, Vinci Construction Grands Projets (VCGP), sa filiale qatarie Qatari Diar Vinci Construction (QDVC) et leurs représentants pour travail forcé, réduction en servitude, traite des êtres humains, travail incompatible avec la dignité humaine, mise en danger délibérée, blessures involontaires et recel. C’est la première fois que d’anciens travailleurs des chantiers de QDVC portent plainte contre la multinationale française.
Cette nouvelle plainte fait suite à une enquête menée par Sherpa en Inde en septembre 2018 qui a permis de réunir de nouveaux éléments et témoignages qui viendraient confirmer la première enquête de l’ONG menée en 2014 au Qatar.
Il ressort des enquêtes menées par Sherpa que les employés migrants de Vinci et de ses sous-traitants qui construisent les infrastructures engagées en vue de la coupe du monde de football de 2022, travailleraient, passeport confisqué, entre 66 et 77 heures par semaine, entassés dans des chambres exigües aux sanitaires insuffisants, percevant des rémunérations sans rapport avec le travail fourni, menacés de licenciement ou de renvoi dans leur pays en cas de revendications, en violation de la loi qatarie, du code pénal français et des standards internationaux de l’Organisation International du Travail (OIT).
Le salaire minimum des travailleurs migrants correspond à moins de 2% du salaire moyen Qatari. Les travailleurs plaignants ou témoins sont payés entre 50 centimes et 2 euros par heure travaillée.
« J’ai signé un contrat dans une langue que je ne connaissais pas. Et quand je suis arrivé au camp, ils ont pris mon passeport. Je savais que je n’avais pas le choix » [1] témoigne l’un des plaignants.
Un manque d’équipements suffisants pour protéger cette population vulnérable contre les risques de chantier et la chaleur (entre 40°C et 50°C en été) aurait par ailleurs provoqué un nombre anormalement élevé de décès de travailleurs sur ces chantiers [2] .
« Au Qatar, travailler dehors pendant la saison chaude est un réel risque. A cause de la chaleur et de l’humidité, j’ai vu des personnes vomir, et tomber comme ça sur le sol »[3].
La première plainte déposée par Sherpa le 24 mars 2015 a été classée sans suite le 31 janvier 2018. Sherpa a donc déposé sur le même fondement une plainte avec constitution de partie civile le 25 septembre 2018 avec l’un des témoins anonymes de la plainte initiale de 2015.
L’enquête sur la plainte de 2015, qui constitue une première contre une multinationale, s’est limitée en France à l’audition de quelques dirigeants, refusant même des actes d’enquête classiques telle que la perquisition.
Comme le dit Marie-Laure Guislain responsable du contentieux chez Sherpa : « L’insuffisance de l’enquête préliminaire reflète un manque de volonté politique du parquet. Dans certains cas de délits graves d’envergure internationale, la France devrait supprimer le monopole du ministère public. Une enquête approfondie doit désormais être menée. »
Il nous semble improbable que, dans le cadre de la préparation du Mondial 2022, les autorités qataries se refusent à une coopération judiciaire avec les autorités françaises.
Les conditions de travail des employés de Vinci ont été améliorées à la suite de la procédure judiciaire de 2015 et de l’enquête de l’OIT, et Sherpa s’en réjouit. Cependant cet impact positif ne saurait gommer la réalité des infractions dénoncées que la justice devra examiner puisque les faits ne sont pas prescrits.
Communiqué de presse de Sherpa