Aujourd’hui, 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau salubre et 40 % souffrent de pénuries d’eau. Cette ressource rare est de moins en moins disponible face au changement climatique et aux activités humaines. Quelles innovations pourront préserver cette ressource vitale et la rendre plus accessible au tiers de la population mondiale qui en est privé ?
Que ce soit dans le domaine agricole ou l’industrie automobile, le secteur privé a compris son intérêt à protéger la ressource en eau en développant des solutions durables qui minimisent la consommation d’eau ou bien favorisent son recyclage.
Ces innovations sont souvent accélérées par les situations d’urgence, expliquant qu’une grande partie de ces projets novateurs se situent dans des pays où la ressource est rare, irrégulière, et les sécheresses fréquentes. Trois exemples révèlent la volonté du secteur privé de s’adapter au besoin de circularité dans le domaine de l’eau, et montrent que les alliances qu’il noue avec le secteur public constituent un gage de progrès pour élever ces efforts à l’échelle nationale.
Pour nourrir la population mondiale, la production agricole devra probablement augmenter de 60% d’ici la fin du siècle. Or, 70% de l’utilisation de l’eau à l’échelle mondiale est dédiée à l’agriculture. Avec une demande en eau potable qui ne cesse de croître et des ressources souterraines qui s’appauvrissent, les crises que subit déjà l’agriculture dans plusieurs régions du monde risquent de se multiplier. L’enjeu pour l’agriculture de demain sera donc d’innover de façon à utiliser moins d’eau pour une production agricole accrue : choisir des cultures moins consommatrices en eau par exemple est une solution qui nécessite une concertation entre pays afin de répartir les varié- tés cultivées sur les territoires en fonction de la disponibilité de leur ressource en eau.
CHILI : UNE AGRICULTURE SÈCHE
L’agriculture sèche ou pluviale (dry farming), qui ne nécessite pas d’irrigation, est un exemple de solution, encouragée par le département de l’Agriculture des Etats-Unis qui a produit une « taxonomie des sols de l’USDA ». Celle-ci permet d’identifier les régions du monde où une agriculture ne dépendant que des précipitations est possible. L’entrepreneur Gonzalo Muñoz a ainsi développé sa propre usine de recyclage au Chili, « TriCiclos », inspirée de son expérience en agriculture sèche.
Il y a 20 ans, raconte-t-il un agriculteur utilisait 20 litres d’eau par seconde pour irriguer ses cultures. Il est parvenu à s’adapter aux circonstances de sorte qu’il n’utilise actuellement que 0,5 litre par seconde, en mettant à profit les eaux pluviales. Il a poursuivi cette logique de sobriété en pratiquant le recyclage des déchets en fin de vie. En responsabilisant les entre- prises dans la conception de leurs produits, il espère parvenir à une gestion plus circulaire des ressources, notamment celle de l’eau.
Son statut d’entrepreneur engagé pour l’environnement lui a conféré une reconnaissance politique. Gonzalo Muñoz incarne la volonté de plus en plus marquée d’associer les secteurs privé et public pour bénéficier de leurs expériences réciproques et rehausser l’ambition environnementale des pays. Nommé « champion de l’action climatique » lors de la COP25, il sera en effet chargé de rassembler les parties prenantes et les gouvernements pour mettre en œuvre l’Accord de Paris, pour un mandat de deux ans.
MEXIQUE : FACILITER L’ACCÈS À L’EAU
Bien que considéré comme souffrant d’un niveau de stress hydrique moyen, le Mexique dispose de spécificités climatologiques et géographiques, responsables d’une répartition très inégale de la ressource : pluies abondantes au Sud et faibles au Nord du pays. Dans certaines régions du Nord, les foyers ne disposent pas d’un approvisionnement direct en eau salubre. Par ailleurs, sur les 9 millions de Mexicains qui ne bénéficient pas d’un accès sûr à l’eau, les indicateurs ne prennent pas en compte ceux qui disposent des infrastructures de canalisation sans toutefois en retirer de l’eau potable. La variabilité grandissante des sécheresses et des pluies ne fait qu’aggraver ces inégalités à la fois naturelles et socialement marquées. Pour y répondre, le secteur privé se mobilise.
A Puebla, à quelques heures de la capitale, l’industrie automobile est affectée par les pénuries d’eau. L’usine Volkswagen implantée dans la ville a adapté ses procédés de fabrication de Tiguan, Jatta et Golf, de sorte à minimiser l’utilisation d’eau, de résidus et de composés volatils. Plus radicalement, l’entreprise concessionnaire du service de distribution dans la ville, « Agua de Puebla », a lancé des initiatives d’afforestation afin d’améliorer l’infiltration de l’eau dans le sol. Des partenariats public-privé sont aussi envisagés au Mexique en mettant à disposition d’opérateurs privés des infrastructures publiques. L’entreprise suisse Lafarge a lancé plusieurs opérations pour rendre l’eau accessible dans des bassins de rétention et d’assainissement, en association avec la municipalité de Mexico. Lafarge utilise les équipements publics pour les connecter à ses propres bassins de rétention, capables de retenir l’eau, même en cas de pluies intenses.
L’implication de toutes les parties prenantes est très importante au Mexique compte tenu des imaginaires, des cultures et des habitudes qui varient d’un acteur à un autre. Pour certains agriculteurs, l’eau représente un élément spirituel inutilisable pour certaines fonctions, comme les chasses d’eau par exemple. Une solution pour le gouvernement consisterait à inclure les communautés locales et les acteurs de l’eau dans le secteur privé pour construire ses politiques publiques et leur cadre légal. Le secteur privé joue là un rôle essentiel en termes de technologies, de connaissances techniques et de financement.
MAROC : DES OASIS RÉSILIENTES
Un plan national de l’eau est en cours d’élaboration par le gouvernement marocain. Pays hôte de la COP22 en 2016 qui a donné jour au partenariat de Marrakech pour l’action climatique, le Maroc est considéré comme l’un des pays les plus engagés contre le changement climatique par l’Indice de performance de changement climatique 2019.
Touché sur tout son territoire par des vagues de chaleur plus fréquentes et plus longues, des précipitations moins abondantes et irrégulières, le gouvernement a lancé depuis quelques années, en partenariat avec le PNUD (Programme des nations unies pour le développement) un Projet national d’Adaptation au Changement Climatique pour des oasis résilientes (PACC).
Ce projet, qui bénéficie d’un financement public-privé, œuvre pour réduire la vulnérabilité des oasis qui re- présentent 15% du territoire, à travers la mise en place d’un système d’alerte contre les risques climatiques dans ces zones, ainsi qu’un protocole d’urgence.
Pour Abdelkader Amara, ministre de l’Equipement, du Transport et de l’Eau au Maroc, l’accès aux financements est l’obstacle majeur au développement de ces projets d’adaptation. Les partenariats public-privé sont pour lui une solution à valoriser. D’une part, ils garantissent une sécurité financière pour pérenniser ces projets qui nécessitent un entretien continu. De l’autre, la sécurité hydrique du pays passe par l’installation d’infrastructures de stockage que les entreprises privées ont la capacité de construire. Les partenariats public-privé représente une condition pour garantir la durabilité de ces infrastructures.
Enfin, pour rappeler son engagement, le Maroc a déclaré lors de la COP25 être disposé à travailler avec des partenaires internationaux pour poursuivre le partenariat de Marrakech. ■