Dans cinquante ans, que dira-t-on des années qu’aujourd’hui nous vivons ? Ceux d’entre-nous encore en vie sur cette basse Terre, seront en 2068, peut-être, autant surpris d’entendre les plus jeunes leur exposer l’idée qu’ils auront de 2018, que je le suis à présent d’entendre raconter Mai 68 par ceux qui, en ce temps là, étaient encore enfants ou pas encore nés. C’est une étrange affaire et d’une réelle complexité.
Du point de vue historique, les comptes rendus sont presque tous faux. Rien ne s’est passé comme on le raconte. Très clairement l’Histoire est impossible à reconstituer pour ceux qui ne l’ont pas vécue. Mais, l’envers est plus étonnant encore : ceux qui retracent si mal la succession des événements et les interprètent de façon si cavalière, ont en revanche de la signification profonde de ce qui s’est alors produit, une bien meilleure appréciation que nous en avons eue, nous les vieux, au moment des « événements » comme l’on disait alors.
Je dirai, par provocation, que les funérailles « populaires » de notre Johnny ont eu une réelle valeur symbolique : l’affliction populaire enterrait, dans la douleur, ce qu’était l’esprit de libération de Mai 68. J’en demande bien pardon à « Libération », le vrai porteur du message de Mai 68, c’était Johnny et non pas les « Gôôôchistes irrrresponsables » que déplorait si fort Monsieur Waldeck Rochet, alors à la tête du PC. Ce que demandait Mai 68, chacun le voit maintenant, ce n’était pas un rêve de révolution politique, c’était la légitimation d’un appétit de consommation et de liberté de consommer, et une réclamation de droit à la parole publique et à l’image. Non pas pour prôner la révolution mais pour obtenir, pour soimême, du succès. Ce qui fut obtenu mais fait peur aujourd’hui. Le problème de cette consommation désormais débridée, et dont la publicité pousse les feux un peu plus chaque jour, c’est que jointe à une augmentation phénoménale de la population des humains, elle entraine des conséquences écologiques et environnementales plus que préoccupantes.
En Mai 68 où en étions-nous du point de vue des luttes écologiques ? En France, le combat était à peine engagé. Bien peu entendirent René Dumont, lorsque, candidat aux élections présidentielles, il but un verre d’eau pour informer les téléspectateurs que ce geste deviendrait rare, tant la pollution allait étendre ses ravages, sur la terre comme au ciel, dans les eaux comme dans les forêts.
Aux USA le combat en revanche était lancé. D’un côté, les Hippies de la Côte Ouest proclamaient le retour à la Nature, la vie en collectivité et les « Flowers in the hair » ; de l’autre, sur la Côte Est, on se préoccupait des pluies acides, de la déforestation, des pollutions en tout genre. Grace à René Dubos, la Conférence convoquée par L’ONU à Stockholm en 1972 finit par se préoccuper d’autre chose aussi et qui concernait pareillement René Dumont : la place de l’Homme, à la fois victime et coupable. Il y aurait un beau monument à ériger en l’honneur des « Deux René » pour qui voudrait faire comprendre le sens humaniste du combat écologique.
Or, à jouer avec la Vie sans savoir ce qu’est la vie,
à répandre cette idée, plus folle que fausse,
que la vie est fille de l’ADN,
on prépare des catastrophes qui
n’auront pas d’antidote
Cette préoccupation humaniste ne dura pas. Car, 20 ans après Stockholm, la conférence de Rio prit d’autres chemins. Elle devint plus technique et oublia quelque peu le rôle des humains dans la genèse de leurs propres malheurs.
Aujourd’hui, il peut sembler que nous ayons atteint le point parfait du dessèchement technique. Les technocrates (qui sont les techniciens que l’on n’aime pas !) ont réduit le combat écologique planétaire à une molécule le CO2, et à un objectif, « Moins deux degrés » Surtout, ils ont laissé s’accréditer l’idée que la cause du malheur, c’est la faute de l’autre. Cette situation met mal à l’aise. Les raisons de croire que l’on peut mettre un frein à la surpopulation en restreignant sa consommation semblent utopiques. D’où pourrait venir alors l’espoir ?
Ma conviction profonde est celle-ci : ce qui limite les rêves d’Écologie triomphante, de Sécurité retrouvée et de grande Santé maîtrisée, c’est l’extrême limitation du savoir biologique, c’est l’extraordinaire fatuité de la Biologie d’aujourd’hui qui se dit en mesure d’expliquer ce qu’est vraiment la vie et comment il faut la booster pour la protéger. Du côté de la Silicon Valley, les allumés sont à l’oeuvre et supplantent en imagination George Lucas et Star Wars. L’ennui c’est que ce n’est pas de tourner un film à faire rêver, que l’Humanité doit prioritairement se préoccuper. Or, à jouer avec la Vie sans savoir ce qu’est la vie, à répandre cette idée, plus folle que fausse, que la vie est fille de l’ADN, on prépare des catastrophes qui n’auront pas d’antidote. A quand une biologie du Vivre ensemble et des équilibres écologiques ? Telle Soeur Anne je ne vois rien venir…
Alors, pour me rassurer, repensant à 68, je me dis : voila des propos qui dans 50 ans feront sans doute rire les nouveaux venus qui diront « Celui-là, il n’avait rien compris à ce qui se passait vraiment, qui était en chantier et allait permettre à l’Humanité, une fois de plus, de se régénérer. »
C’est finalement mon souhait le plus cher. De passer à côté de l’essentiel salvateur déjà en action. Cela posé : si vous le connaissez, pourriez- vous m’indiquer où le trouver ? Car c’est sûr il doit exister ? Mais où est-il ? Voilà qui pourrait déclencher une réflexion de masse.
« Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » ? : Johnny chantait cela, aussi. Serait-ce là sa plus profonde prophétie ? Rendez-vous en 2068. ■