Une vaste étude réhabilite le rôle des réserves alimentaires pour faire face aux famines et réduire la malnutrition chronique. Deux conclusions fortes se dégagent de cette analyse : ces stocks publics de denrées s’avèrent particulièrement pertinents dans certains contextes, notamment au Sahel. Leur impact sur la sécurité alimentaire peut-être maximisé si une structure de gouvernance appropriée est mise en place. Commandée par la Commission européenne au Cirad, cette expertise a mobilisé un réseau d’experts internationaux de très haut niveau.
« Dans l’histoire des réserves alimentaires, certaines ont été un échec total, d’autres une véritable réussite » commente Franck Galtier, économiste au Cirad. Il a coordonné une vaste étude commandée par la Commission européenne (CE) sur le sujet. Ce travail analyse les conditions de succès de ces outils délaissés par la communauté internationale depuis les années 80, mais qui connaissent un regain d’intérêt aujourd’hui (voir encadré). Pour le mener à bien, Franck Galtier a mobilisé certains des meilleurs experts internationaux. Ils ont passé en revue la littérature théorique et empirique sur le sujet et mené dix études de cas en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Résultat : une synthèse d’une centaine de pages, accompagnée des rapports présentant les études de cas et d’une note d’information exprimant l’intérêt pour les réserves alimentaires de la Direction générale du développement et de la coopération (DG-Devco) de la CE.
Une performance qui dépend du contexte
« C’est la première étude sur les réserves alimentaires qui analyse le problème sous toutes ses dimensions, » précise l’économiste. Elle explore les différents chemins d’impacts que peuvent activer ces outils pour améliorer la sécurité alimentaire : gestion des crises, traitement de la malnutrition chronique et utilisation des achats pour stimuler la production alimentaire ou réduire la pauvreté rurale. Les experts détaillent les différentes manières d’utiliser les réserves (ventes, ventes à prix subventionnés, distributions gratuites) et présentent les modalités de leur bonne gouvernance. Enfin, ils analysent l’impact des réserves non seulement dans le pays qui les met en œuvre, mais aussi sur les autres pays : les réserves nationales sont en effet susceptibles d’avoir un effet sur la stabilité des marchés internationaux, et par là même sur la sécurité alimentaire mondiale. Ce rapport montre que l’outil peut s’avérer extrêmement utile dans certaines situations, notamment lorsque les délais d’importations sont longs ou incertains (pays enclavés, grands pays). Il contribue ainsi à réhabiliter les réserves alimentaires.
Les réserves alimentaires particulièrement pertinentes pour le Sahel
Pour Franck Galtier, les caractéristiques du Sahel font des réserves alimentaires un instrument particulièrement judicieux dans cette région. D’une part, le climat sahélien est tel que les céréales se conservent sans problème pendant au moins trois années. D’autre part, la zone est sujette à des crises alimentaires fréquentes et à l’insécurité alimentaire chronique. Plusieurs raisons sont à l’origine de la vulnérabilité nutritionnelle au Sahel :
- les aléas climatiques rendent les récoltes très instables ;
- les céréales consommées par les ménages les plus pauvres (mil et sorgho) ne sont pas disponibles sur les marchés internationaux et les céréales importées (riz, blé) sont beaucoup plus chères ;
- les céréales représentent plus des 3/4 des calories consommées et entre 20 % et 45 % des revenus des ménages. La fluctuation des prix est rapidement fatale pour les plus démunis ;
- enfin, le Sahel compte des pays aux indices de développement humain parmi les plus bas au monde.
Les pays sahéliens disposent déjà de réserves alimentaires nationales et locales. Une réserve régionale vient d’être créée par la CEDEAO. Elle a fait ses premières distributions en 2017 lors de la famine qui a frappé le nord-est du Nigeria. La dimension régionale de cette réserve est tout à faire pertinente puisque les crises alimentaires frappent généralement plusieurs pays de la région en même temps, comme les crises de 2005 et 2012 qui ont touché l‘ensemble des pays du Sahel. Ce rapport va alimenter les réflexions de la DG-Devco à l’heure où se pose la question d’un nouveau projet d’appui à cette réserve alimentaire régionale.
Un regain d’intérêt
« L’Europe avait besoin d’éléments pour se positionner vis-à-vis de ces outils assez particuliers que sont les réserves alimentaires, » explique Franck Galtier. Très utilisées jusque dans les années 80, les réserves alimentaires ont ensuite été délaissées par la communauté internationale. Ces instruments connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt suite aux crises alimentaires des années 2000, notamment la crise qui a touché les marchés internationaux en 2008. C’est dans ce contexte que la Commission européenne reçoit de plus en plus de sollicitations concernant des projets de réserves alimentaires par l’intermédiaire de ses délégations dans les pays en développement. Par ailleurs, sous l’impulsion de l’Inde et de 32 autres pays émergents ou en développement, des négociations sont en cours à l’Organisation mondiale du commerce afin de donner plus de flexibilité aux pays pour constituer des réserves alimentaires.
Communiqué de presse du Cirad