Comment faire reculer l’artificialisation des sols ?

Les nouveaux modes de consommation alimentaire peuvent-ils empêcher 
la destruction de nos sols fertiles par le bétonnage à tout va ? 
Voilà le sujet de notre e-forum dont nous vous livrons l’essentiel.

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PARTICIPANTS À L’E-FORUM DU 11 JUIN 2019

  • Jacques CAPLA, agronome, secrétaire général 
d’Agir pour l’Environnement
  • Pierre DEFILIPPI, groupement Carma
  • Basil FAUCHEUX, membre de Jeunes Agriculteurs
  • Benoit KUBIAK, chargé de mission Agenda 21 de la ville de Quetigny (21)
  • Félix LALLEMAND, docteur en Ecologie, Muséum national d’Histoire naturelle co-fondateur des Greniers d’Abondance

L’artificialisation galope 

Félix LALLEMAND 

Les principales causes de l’artificialisation actuelle des terres concernent : la construction de logements individuels à 46%, les infrastructures routières à 16%, les infrastructures agricoles à 8 %. Le reste, 30 %, se répartit entre chantiers de construction, commerces, services et industries. Etonnamment, il n’y a pas toujours de corrélation positive entre artificialisation et croissance de la population, c’est même souvent l’inverse. Le rythme d’artificialisation est plus rapide dans les communes à faible tension sur le marché du logement : 40 % de l’artificialisation s’effectue dans des zones où le taux de vacance des logements augmente fortement et 20 % de l’artificialisation a lieu dans des communes où la population décroît. 
Sources : Enquête Teruti-Lucas 2006-014. //agreste. agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/primeur326.pdf
Commissariat général au développement durable.
Objectif « zéro artificialisation nette » //www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Th%C3%A9ma%20 -%20Objectif%20z%C3%A9ro%20artificialisation%20nette.pdf

Un mode d’organisation à revoir 

Pierre DEFILIPPI
L’artificialisation des sols agricoles est un symptôme de notre mode d’organisation collectif et il faudrait attribuer une valeur patrimoniale à la terre agricole. Il est difficile de comparer la valeur d’un sol agricole épuisé, par rapport à la valeur du foncier agricole pouvant être urbanisé. La production agricole devient une valorisation économique de second ordre. 
Cette usure du sol est due à une mutation de la production agricole vers l’intensification de la productivité globale du système alimentaire, déconnectant ainsi les lieux de production et de consommation. Les marchés internationaux se sont ouverts grâce à la surproduction et le champ agricole est devenu un territoire dont la finalité n’est plus en relation avec ses habitants. 
Toute déconnexion géographique entre l’alimentation et le sol rend le lieu de production alimentaire abstrait pour l’individu et génère des flux de transport avec une empreinte écologique qui maintiendra les individus dans un rapport de dépendance. Tous ces facteurs ne permettent pas de lutter efficacement contre l’artificialisation, générée par le processus consumériste dans son ensemble.

Construire sur des terres déjà bétonnées
Basil FAUCHEUX
Récupérer le foncier artificialisé est exorbitant au regard des coûts de leur remise en état. Peut-être serait-il plus intelligent de reconstruire des habitations ou des équipements sur des terres déjà bétonnées plutôt que d’aller construire sur des terres arables.

Une population vulnérable
Félix LALLEMAND
L’artificialisation compromet les capacités de production alimentaire des territoires et les rend plus vulnérables dans un contexte incertain (dérèglement climatique, raréfaction des ressources énergétiques, effondrement de la biodiversité, fragilité du système financier…)
L’économie hors-sol ne prend pas en compte les limites physiques de notre planète : absence totale d’anticipation sur les problèmes liés aux ressources ; système encourageant l’exploitation entre humains au sein et entre les différents pays ; destruction inquiétante de la biodiversité (cf. rapport de l’IPBES) ; grave perturbation du climat qui remet en question les conditions d’existence d’une grande part de la population mondiale…

Une ère d’abondance
Pierre DEFILIPPI
Nous vivons dans une ère d’abondance. Nous avons globalement perdu l’habitude des crises (absence de famines en Europe depuis plusieurs décennies) et subi l’éloignement des zones de production. Ceci remet en cause notre Habitus occidental et son imaginaire de façon radicale si l’on pousse la logique de l’arrêt de l’artificialisation jusqu’à la limite. Nous ne pouvons plus acquérir de biens secondaires, ni bouger librement, nous ne pouvons plus passer notre temps à consommer.
Notre groupement, Carma, défend l’idée d’une sanctuarisation de la terre agricole. Elle ouvrirait la voie à une densification urbaine plutôt qu’à son étalement.

Notre patrimoine commun
Jacques CAPLAT
La terre doit redevenir un bien commun, excluant les propriétaires privés, comme c’était le cas jusqu’au 18ème siècle. Au Moyen-âge, les seigneurs ne “possédaient” pas la terre, ils avaient des “droits d’usages” (à côté de droits principaux, détenus par les nobles, existaient des droits spécifiques pour les serfs et aussi pour les paysans libres).
Il faut recréer une conscience collective de l’usage du monde, de l’espace, de la ville et de ses périphéries, de la campagne. Nous sommes tous et toutes concernés.
Les terres n’appartiennent pas qu’à leurs propriétaires formels, la campagne n’appartient pas qu’aux paysans, les décisions urbaines n’appartiennent pas qu’aux citadins.

Maintenir les agriculteurs
Basil FAUCHEUX
La profession est en train de mettre en place des GFA (groupement foncier agricole) mutuels, pour porter ou aider à porter des projets : installation de jeunes agriculteurs, agriculteurs confrontés à des problèmes économiques ponctuels.

Acheter une ferme : les prix sont inabordables
Jacques CAPLAT
Même les enfants d’agriculteurs ont du mal à s’installer. La reprise du capital est délicate, surtout s’il y a des frères et sœurs auxquels il faut racheter des parts. Le gigantisme économique de l’agriculture est sur le point d’atteindre son niveau d’effondrement. Avant de s’indigner du rachat de domaines par des capitaux étrangers, il faut s’interroger sur la politique agricole, soutenue mordicus par le syndicalisme majoritaire, qui a encouragé depuis 50 ans l’agrandissement aberrant des exploitations, qui arrivent maintenant à un tel niveau de capitalisation qu’elles ne sont plus “reprenables” que par des banques ou des multinationales.

Entre bénéfice immédiat et bénéfice à long terme
Félix LALLEMAND
L’artificialisation procure un bénéfice immédiat et perceptible pour le territoire. Ses effets négatifs, plus dilués, se font sentir à plus long terme. Par exemple, autoriser la construction d’un nouveau parc de logements individuels en périphérie d’une ville crée de l’emploi localement, renforce l’attractivité de la commune, annonce une rentrée d’argent via les taxes…
Les dégâts sur la biodiversité, la détérioration de l’autonomie alimentaire, la dépendance croissante au pétrole que cela engendre ne sont aujourd’hui pas assez visibles pour constituer un frein suffisant.
Se rajoutent à cela des problèmes habituels de conflits entre intérêts privés et intérêt général, plus conceptuels.

Sensibiliser le consommateur final
Basil FAUCHEUX
Jeunes Agriculteurs, notre syndicat, a rencontré les porteurs du projet Europacity (aménagement de la Zac du Triangle de Gonesse) pour leur faire part de son opposition à se projet qui se situe à l’inverse de toutes nos valeurs. Une loi foncière est en cours d’élaboration et nous espérons pouvoir interdire, ou du moins limiter, un maximum de projets abusivement capteur de foncier. La meilleure solution reste encore la communication envers le public. Si les gens comprennent le non sens de ces projets en terme d’agriculture locale (celle qui est de plus en plus demandée), ils se doivent de ne pas aller faire leurs courses dans ces centres.

Un pari risqué
Pierre DEFILIPPI
Pour approfondir l’axe “consommation alimentaire en évolution” il y a une reproduction de l’idéologie du marché régulateur comme solution au problème. Grâce à une mutation de la demande de consommation, nous parviendrons à produire une inflexion du système. Mais à quelle vitesse cette inflexion par le marché est-elle possible ? Quel cap pertinent définir comme horizon collectif ?
Vouloir infléchir la tendance par des mécanismes de marché reste un pari très risqué, mais le pendant politique d’une contrainte légale est tout aussi risqué en cas de crise environnementale profonde. Des alternatives telles que les éco-hameaux ou encore SOS Maires semblent des pistes prometteuses pour envisager une vie collective à une échelle différente.
Nous devons rapidement sortir de la question alimentaire (fondamentale mais réductrice) pour aborder les problèmes de fond comme la domination généralisé de l’homme sur son environnement (des hommes, des animaux, des territoires, et même du climat avec les technologies de captage) et de nos choix technologiques (notamment la communication et la mobilité) qui vont pouvoir définir un nouvel horizon de l’occupation de l’espace. Tout doit être changé. ■

Quetigny (21) : Ville nourricière
Benoit KUBIAK
La commune anime un projet de « Ville nourricière » qui vise l’autonomie alimentaire du territoire en repensant l’alimentation : création d’un jardin partagé en pied d’immeuble sur 800 m2, d’un jardin-forêt comestible de 4000 m2, de potagers éphémères en ville, de serres municipales en gestion biologique en lien avec les jardins familiaux, du compostage collectif dans les quartiers, du bio à la cantine, de la création d’une nouvelle crèche avec sa propre cuisine…
Les habitants de Quetigny et des communes alentours seront les bénéficiaires de ce projet de Ville nourricière. Ils pourront par exemple cultiver un jardin au pied de leur immeuble, acheter des fruits bio qui auront poussés sur leur commune, s’impliquer dans une association ou travailler sur un des projets… Contrairement à d’autres projets d’aménagements (routier, zone d’activité, logement…) il n’y a pas eu d’opposition sur la commune, bien au contraire.
Les deux principaux facteurs de réussite résident dans la gestion du foncier (depuis les années 1960-70 avec la régie foncière) et la volonté politique (la commune s’est doté d’un Agenda 21 depuis 2009). Mais les obstacles restent nombreux, le premier c’est de trouver des porteurs de projets capables de répondre aux conditions : transformer une parcelle de céréales en verger demande d’amener les réseaux, de construire un hangar, etc. Animer un jardin ou un verger nécessite une structure associative avec des bénévoles ayant un minimum de savoirs, etc.
Le suivi est effectué par les élus : le maire et l’adjoint au développement soutenable, accompagnés des services, moi en tant que chargé de mission Agenda 21 ainsi que mes collègues des services juridiques ou techniques. La consolidation et le développement de cette initiative demandera sans doute une forme d’animation ad-hoc qui reste à imaginer. Je ne sais pas quel enseignement il faut tirer de Quetigny, mais il me semble que “vouloir” est déjà beaucoup. Il faut également agir sur le temps long pour proposer des projets alternatifs à l’artificialisation : disposer de foncier, d’un porteur de projet, mais aussi travailler sur les modes d’alimentation et le lien avec les habitants qui sont aussi les consommateurs. Dans ce sens, disposer d’un projet global de développement durable pour le territoire, qui permette à toutes les parties prenantes de travailler ensemble, représente sans doute un atout.




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