Editorial de Bernard Chevassus-au-Louis
L’objectif général du colloque était de cerner, afin de l’approfondir et de la mettre en débat, une question qui apparaît centrale pour fonder les actions et les prises de position sur la « bonne » gestion du vivant : en quoi cette notion relativement récente de biodiversité, et les différents concepts scientifiques mais aussi politiques qu’elle a introduits vis-à-vis de notre vision de la nature vivante, amène-t-elle à revisiter, à compléter, voire à remettre en cause les conceptions éthiques « classiques » qui avaient été élaborées dans le monde occidental pour penser les relations entre les humains et les autres êtres vivants ?
Ce colloque s’est organisé autour de trois axes d’approche complémentaires.
Il est parti d’une analyse de la conception que nous avons dans nos sociétés de nos relations avec la nature et de la manière dont nous justifions la légitimité de nos actions vis-à-vis d’elle. Il a interrogé, dans une perspective à la fois historique et anthropologique, cette conception « dualiste », séparant nettement l’homme du reste de la nature, qui caractérise les sociétés occidentales actuelles mais ne constitue nullement un modèle unanimement partagé sur notre planète. Il a évoqué en particulier l’inadéquation de cette conception pour concevoir une gestion de la nature intégrant les concepts actuels de la biodiversité.
Un second angle d’approche du colloque s’est appuyé sur une mise en perspective des conflits à propos de la nature et des valeurs mobilisées par les protagonistes de ces conflits. Il a fait le constat d’une transition progressive, à partir du 19e siècle, de conflits d’usage, à propos de ressources convoitées par divers utilisateurs antagonistes mais partageant les mêmes valeurs, vers des conflits de valeurs, mobilisant aussi des valeurs de non-usage et fondées sur des conceptions opposées de nos relations avec la nature. Le colloque s’est interrogé sur la capacité du droit, de l’économie ou d’autres approches à prendre en compte ses conflits de valeurs et à proposer des cadres éthiques permettant d’arbitrer ces conflits.
Enfin, la question de la persistance du modèle dualiste et de son lien avec l’humanisme et ses valeurs a été interrogée. La vision actuelle de la biodiversité propose en effet une double « déconstruction » en présentant, d’une part, l’homme comme une simple composante contingente de la biosphère et, d’autre part, l’état actuel de cette biosphère comme un état transitoire d’un processus dynamique pour lequel la notion d’un « état de référence » fondée sur des lois écologiques ne saurait s’imposer. Cette représentation ne risque-t-elle pas de déresponsabiliser l’homme et n’ouvre-t-elle pas la porte à un certain relativisme ? Comment dans ce cadre mettre en place, à différentes échelles, des dispositifs permettant de construire, avec la diversité des acteurs, des politiques de « ménagement » durable de la biodiversité, y compris sur le plan de l’équité sociale ?