Voiture autonome, voiture électrique, autopartage, covoiturage et depuis peu trottinette électrique en libre-service… Nos déplacements sont le sujet de toutes les attentions pour un grand nombre d’acteurs publics ou privés. Vers quels modes de déplacements nos usages vont-ils évoluer ? La voiture sera-t-elle poussée hors les murs des grandes villes ?
Participants à l’e-forum du 6 novembre 2018
Bruno GAZEAU, Président de la FNAUT
Charles MAGUIN, Administrateur de la FUB
Cécile CLÉMENT, Cheffe du groupe Système de transports et mobilité CEREMA
LA MOBILITÉ DANS LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Agir dans le sens de l’Accord de Paris
Bruno Gazeau
Il est irresponsable de ne pas respecter les fondamentaux de l’Accord de Paris. Les villes sont de plus en plus embouteillées et polluées. Réduire la place de la voiture est une nécessité et une exigence. La question n’est plus celle du coût de l’énergie mais de changer nos modes de vie, nos comportements et nos déplacements.
Le choix du mode de vie
Charles Maguin
On ne peut pas s’installer n’importe où et demander à se déplacer en voiture gratuitement partout et tout le temps. Cet étalement urbain coûte un pognon de dingue mais ce ne sont pas ceux qui s’installent n’importe où qui paient la facture.
La compensation de la hausse de l’essence
Charles Maguin
Si on compense la hausse de tarif pour “ceux qui font beaucoup de kilomètres”, on supprime l’incitation à réduire les distances (domicile travail, logement et commerces, etc.) Le territoire se construit en fonction des solutions de mobilité. Tant que la solution voiture reste possible, car maintenue à bout de bras par l’argent public, rien ne changera dans la façon de concevoir nos territoires et nos choix de vie. Le vélo est marginal précisément parce qu’il n’a pas d’infrastructures : dès qu’elles existent il est présent dans la ville à Nantes, Rennes, Paris, Bordeaux.
ARBITRAGES DÉCISIFS
L’arbitrage politique est déterminant
Cécile Clément
La place de la voiture doit être réfléchie au regard des objectifs de politiques publiques, non seulement en termes de mobilité mais aussi d’urbanisme, d’environnement, de développement économique et d’équité sociale. L’histoire des villes depuis la seconde guerre mondiale a montré qu’organiser la mobilité sur un seul mode a toujours abouti à des échecs, qu’il s’agisse de la voiture, des transports collectifs ou du vélo. On observe la multiplication de systèmes de déplacements souples, adaptables aux besoins et facilement accessibles.
Les nouvelles technologies, les nouveaux modes de déplacements laissent à penser que les pratiques multimodales permettront de se déplacer facilement, en fonction de nos propres besoins, sans renier la liberté acquise par la voiture particulière et les aménagements très favorables auxquelles elle a eu droit jusqu’à présent. Une politique d’aménagement urbain est faite sur des choix entre différentes thématiques : habitat, transport, marché foncier, développement économique. A l’instant T, certaines de ces composantes peuvent être antagonistes. C’est le cas entre l’habitat pavillonnaire et la volonté d’optimisation des transports (du point de vue énergétique et économique). C’est aux politiques d’arbitrer en fonction des objectifs jugés prioritaires.
Faciliter le bon choix
Charles Maguin
Il y a une concurrence forte entre les modes de déplacements. L’objectif d’une politique publique de mobilité doit être de faciliter “le bon choix” pour une majorité de nos concitoyens, et ce en fonction du trajet. En France, 75% de nos déplacements quotidiens font moins de 5 kilomètres dont une immense majorité est réalisée en voiture individuelle. Non pas que la voiture soit la bonne solution mais parce que toutes les autres solutions ont été disqualifiées : la route est gratuite, la ligne de chemin de fer est payante. La route autrefois était accessible pour tous mais aujourd’hui marcher ou pédaler le long d’une départementale est malvenu.
Où sont les financements ?
Bruno Gazeau
Pour la plupart des métropoles, il y a un problème d’inter-complémentarité entre le réseau métropolitain, qui relève de la compétence de l’Autorité Organisatrice Métropolitaine, et le réseau ferré régio nal, qui dessert les gares à l’intérieur du périmètre urbain et qui dépend de la région. Cette question des RER métropolitains, qui maille mieux le territoire, est mentionnée dans la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) sans que les financements ne soient prévus explicitement.
UN PARTAGE ÉQUITABLE DE LA VOIRIE
Repenser le système
Bruno Gazeau
Les moyens de déplacement se multiplient, se diversifient et se conjuguent exigeant tous un partage différent de la voirie. Il faut repenser le système de mobilité, partager la voirie différemment et rendre complémentaires les différents modes de transports entre eux. Chaque ville pourrait déjà mesurer l’espace affecté à chaque transport et le mettre en regard du nombre de déplacements. Cette démarche pourrait être préalable aux débats sur le péage urbain que la LOM rend possible si les élus le décident. Paris vient de publier les surfaces allouées à chaque mode de transport. C’est édifiant. Nous allons engager une étude pour le mesurer dans plusieurs villes moyennes. Nos associations réclament ces chiffres à leurs élus.
Trois espaces de vitesse
Charles Maguin
Il manque en France l’équivalent du CROW hollandais, la vision de ce qu’est une ville cyclable. Ainsi 80% des rues en ville n’ont pas vocation à accueillir du transit, qu’il soit automobile ou cyclable. Dans ces rues, il ne faut pas se contenter d’un panneau 30 km/h comme cela a été principalement fait en France. Il faut supprimer le transit par une refonte du plan de circulation (voir Lille). La logique est celle de 3 espaces de vitesse. Lent (piétons, enfants à vélo < 6 km/h), moyen (cyclistes et trotinettes < 25 km/h) et la route (> 25 km/h). Ce système existe aux Pays-Bas et fonctionne très bien. Pontevedra, en Espagne, a fermé ses rues aux voitures. La ville ne s’est jamais portée aussi bien. Elle gagne des habitants et des emplois. C’est l’illustration d’une ville moyenne qui s’est débarrassée de sa dépendance à l’automobile et qui montre que ça marche. Et politiquement ça paye : le maire est là depuis 1999. Au Japon, ce sont les seniors et les enfants qui représentent la majorité des usagers du vélo (qui est perçu comme très sûr ; 15% de part modale). Le vélo sait répondre à tous les usages. S’il a un espace confortable et sécurisé pour circuler.
QUELLE COHABITATION VÉLO AUTO ?
Quel triptyque marche-vélo-train
Charles Maguin
Une immense majorité de nos déplacements pourraient se faire avec un triptyque marche-vélo-train. Mais le vélo est le chaînon manquant, perçu comme trop dangereux. 90% des 113 000 répondants au Baromètre des villes cyclables 2017 estiment que leur ville est trop dangereuse pour qu’enfants et seniors y circulent à vélo. Il n’y a pas de stationnement vélo dans les gares. Plutôt que d’abandonner les petites lignes de train il faut les irriguer de voyageurs, en les connectant à un réseau cyclable.
Le vélo représente une solution formidable pour mailler la mobilité, mais les infrastructures permettant à chacun de se sentir en sécurité manquent. Toute ville pourrait faire du vélo un mode de déplacement privilégié. Il faut l’organiser. La situation est devenue tellement auto-dépendante qu’elle est difficile à changer. Il faut donc rapidement proposer un système intégré pour désintoxiquer la France de sa dépendance à l’automobile. Le plan vélo du gouvernement est un pas en avant dans cette direction.
Le vélo ne répond pas à tous les besoins
Cécile Clément
Le vélo ne répond pas à l’ensemble des besoins pour lesquels la voiture reste l’unique solution. Pour répondre aux objectifs de report modal, des solutions attractives et crédibles doivent être offertes aux automobilistes. La solution attractive est la solution pertinente sur le déplacement “voiture” que l’on souhaite reporter. Cela dépend, pour nous, du contexte urbain d’origine et de la destination du déplacement, de la distance à parcourir ainsi que des contraintes personnelles (sociales, physiques, économiques…). Des études de marché sont indispensables, c’est ce que font très bien les exploitants de transports en commun avant d’arriver sur un territoire.
Un nouvel usage de la voiture
Cécile Clément
Les services de voiture en libre-service (ou autopartage) prennent différentes formes. Certains obtiennent de bons résultats (notamment ceux où le véhicule est ramené à sa place d’origine). D’autres sont plus onéreux (Autolib’) et modifient moins la manière de se déplacer de leurs usagers. Le potentiel de développement est encore très important, comme le montre les exemples de la Suisse et de l’Allemagne.
La réponse à l’augmentation du coût d’usage de la voiture passe peut-être aussi par un usage partagé des véhicules. Le covoiturage ne représente pas une pratique anecdotique (le taux de remplissage des véhicules est de 1,4 personne) et se développe de manière conjoncturelle en fonction des contraintes dans les déplacements (grèves, mais aussi épisodes précédents de pics de pétrole). ■