Comment gérer la migration climatique ?

La marche pour sauver le climat n’était pas franco-française, elle se déroulait à l’échelon mondial. Sauver la nature, c’est surtout sauver l’humanité et, face à un réchauffement climatique qui ne fait plus de doute, comment répondre aux populations qui ne vont plus trouver dans leur territoire les conditions pour une vie normale. Nous vous proposons de dialoguer sur ce débat d’actualité.

 

Participants à l’e-forum du 26 septembre 2018

Alice BAILLAT, Docteur associée au Centre d’études internationales (CERI) et chercheur à l’Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS)
Éric VEYSSY, Directeur de l’association Terre & Océan
Olivier LEMASSON, Chargé des partenariats Afrique et Europe à l’association GRDR

 

UN PROBLÈME D’ACTUALITÉ

Déjà 25 millions de personnes concernées
Alice Baillat

L’ouragan Florence qui vient de frapper la côte Est des Etats-Unis, comme le typhon Mangkhut qui a fait des ravages aux Philippines, à Hong-Kong et en Chine nous rappellent à quel point le changement climatique n’est pas un enjeu lointain que l’on pourrait encore éviter, mais bien une réalité pour des millions de personnes aujourd’hui. Si le changement climatique ne crée pas ces épisodes climatiques extrêmes en soi, il les aggrave en créant les conditions météorologiques favorables à leur formation. En moyenne, on estime à 25 millions le nombre de personnes déplacées chaque année par les catastrophes naturelles dans le monde. C’est bien plus que les déplacements liés à des conflits et autres formes de violence. On médiatise souvent moins ces migrations car elles ont lieu le plus souvent à l’intérieur même d’un pays, sur de courtes distances et souvent de manière temporaire.

Chaos climatique et conflits armés
Éric Veyssy

L’espèce humaine n’est pas directement menacée par le réchauffement. Ce sont quelques régions qui deviennent plus risquées et difficiles à vivre. Au Sahel, comme au Moyen Orient, les successions d’années déficitaires ont rendu la situation politique très instable voire incohérente. Les populations en paient la double peine : celle d’un climat déréglé et d’une économie dégradée plus encore par les instabilités politiques et les conflits armés, pour grande partie liés ou initiés suite à des chaos climatiques ou à des visées sur les ressources minières. Sur le littoral, l’érosion menace des villages jusque là protégés par un cordon lunaire littoral. L’intrusion saline dans les nappes phréatiques devient plus fréquente, rendant certains captages impropres à la consommation.

INÉVITABLE MIGRATION

86% des déplacements sont d’origine climatique
Alice Baillat

Les rapports de l’International Displacement Monitoring Centre (IDMC) basé à Genève, recensent chaque année le nombre de personnes déplacées par des catastrophes naturelles à l’intérieur de leur pays. Celles qui déplacent le plus de personnes sont, à ce jour, à 86% d’origine climatique, en premier lieu les inondations, suivis des cyclones.

Les pays développés également touchés
Alice Baillat

La Banque mondiale a estimé en 2018 à 143 millions le nombre de migrants climatiques attendus d’ici à la fin du siècle. Ce chiffre ne concerne que l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine, particulièrement touchées par ces impacts.

Les pays développés également touchés
Alice Baillat

Les pays développés ont le sentiment d’être relativement épargnés par les épisodes climatiques extrêmes souvent plus présents dans les pays en développement. On assiste même à un déni politique total, extrêmement dangereux à terme, qui amplifie les risques pour les populations. À titre d’exemple, la Caroline du Nord a instauré une loi en 2012 interdisant de s’appuyer sur des études scientifiques indépendantes ayant prévu une élévation du niveau de la mer le long des côtes de l’État d’un mètre d’ici 2100. Ces estimations, perçues comme catastrophistes pour les affaires de l’Etat, ont suscité une levée de boucliers de lobbies locaux. Ils ont obtenu, par cette loi, la non prise en compte des études qui auraient permis l’aménagement du territoire. Ironie du sort, six ans plus tard, la Caroline du Nord est l’État le plus durement touché par l’ouragan Florence.

Une migration principalement interne aux pays
Éric Veyssy

Les migrations, ultimes recours en cas de pertes radicales, sont essentiellement internes au pays. Les plus jeunes, n’ayant plus rien à perdre, tenteront peut-être plus massivement l’exil dans les années à venir d’autant que les ressources du pays seront partagées par une population plus importante.

Les facteurs de résilience territoriale
Olivier Lemasson

Les migrations peuvent aussi s’inscrire comme un moyen de subvenir aux besoins des familles qui sont, elles, restées sur place (cf. sécheresses des années 73 et 82). Là encore, les migrations apparaissent comme des facteurs de résilience territoriale (et familiale) parmi les plus puissants au Sahel.

UNE PLANÈTE INHABITABLE ?

90% des terres seront dégradées
Alice Baillat

Une étude de l’IPBES (GIEC de la biodiversité), publiée en 2018, démontre que 90% des terres seront partiellement ou totalement dégradées d’ici 2100. Parmi les 10% restants, certains sols sont inexploitables (déserts, territoires montagneux ou polaires). Dans les années à venir, la question de l’habitabilité de certains territoires deviendra cruciale et épineuse. Certains territoires ne seront plus habitables car il y fera trop chaud, ou ils seront inondés, ou exposés à de trop nombreux aléas climatiques. Où va-t-on reloger les populations ? Quels territoires cherchera- t-on à sauver, au moyen d’investissements énormes pour permettre leur adaptation et au détriment de quels autres territoires ?

Les terres hostiles pour les plus pauvres
Alice Baillat

Les changements climatiques renforceront les inégalités entre les pays, mais aussi au sein même des pays et des territoires. Les populations les plus pauvres pâtiront plus que les autres de ces bouleversements, car leurs moyens pour s’adapter seront moindres. Elles devront aussi continuer à vivre sur les territoires les plus hostiles et les plus dangereux. C’est une profonde injustice pour ces populations les moins responsables du problème climatique, mais qui en sont les premières victimes.

POLITIQUE

23 ans pour un accord minimum
Alice Baillat

Le « schisme de réalité », un concept proposé dans l’ouvrage de Stefan Aykut et Amy Dahan « Gouverner le climat ? », explique que l’on observe un décalage croissant entre la lenteur des négociations internationales onusiennes mises en place depuis 1992 et la rapidité des changements climatiques observés. Il a fallu 23 ans pour obtenir le premier accord universel sur le climat à Paris en 2015, et plusieurs années seront nécessaires pour aboutir aux conditions de sa mise en oeuvre. Le temps de parvenir à s’accorder sur les mesures à prendre, les engagements de chacun, et leur contribution aux efforts de financement, il sera trop tard. On aura déjà plus de catastrophes naturelles, plus de sols dégradés, moins d’accès à l’eau potable, plus de migrants climatiques. L’action politique est trop lente, surtout quand elle se fait dans un cadre de négociation onusienne, où il faut mettre d’accord 195 Etats dont les intérêts sont souvent opposés.

Penser les interdépendances des territoires
Olivier Lemasson

Il convient de recentrer le débat mondial autour de la question de l’accès aux mêmes droits pour tous et donc de s’assurer que les “migrants” qui se réclament des causes climatiques puissent le faire en toute sécurité. Cela oblige les Etats, mais aussi les collectivités locales et les citoyens, à anticiper ces questions et à explorer les politiques de l’accueil (cf. réseau des villes accueillantes en France sous l’impulsion des villes de Grande Synthe, Grenoble, etc). Nous devons nous préparer à l’accueil des migrants internes ou internationaux. Cela demande de penser les interdépendances entre territoires et les logiques de coopérations internationales autour des liens de solidarité et de citoyenneté.

Vers des émeutes du climat ?
Éric Veyssy

Dans plusieurs pays, dont le Bangladesh, les réfugés ont créé des quartiers nouveaux de bidonvilles. Leurs ressources sont faibles, ils survivent sans grand secours, livrés à eux-mêmes et à la merci d’employeurs peu scrupuleux (textile, rickshaw, ménages, etc). Mais si le nombre de personnes qui n’ont aucun moyen d’aller plus loin augmente, il pourrait se produire des émeutes dans ces grands centres urbains saturés où plusieurs dizaines de milliers de personnes affluent. Une catastrophe plus grande que les autres pourrait devenir très problématique à ce niveau là.

FRANCE

Le cas de la région Aquitaine
Éric Veyssy

Les fleuves du Sud-Ouest de la France, dont la Garonne, présentent également des instabilités et même un net déficit hydrologique. Les conséquences y sont évidemment moins dramatiques, mais les projections climatiques peu optimistes nous obligent à une grande attention quant à l’avenir des usages de l’eau.

Un risque sanitaire
Éric Veyssy

Les déficits hydrologiques, outre la quantité, affectent la qualité des eaux disponibles avec en premier lieu une température plus élevée entraînant des risques accrus de déficit en oxygène et de développement bactérien. Bref, un risque sanitaire pour l’écosystème et les populations. Les risques directs (dysenteries, bilharziose, …) ou indirects (paludisme, dengue, maladies émergentes) sont accrus en cas de canicule : eau de surface au dessus de 30°C. Les déficits entraînent des restrictions d’usage qui, trop répétées, mettent en péril les cultures, le potentiel de pâturage ou la ressource piscicole.

Une politique de l’eau et de la terre à repenser
Éric Veyssy

Il faut aider tous les pays à financer des politiques de protection des terres et de recul pour les populations. Concernant les déficits et les irrégularités hydrologiques, la tendance semble aller vers l’installation de plus de retenues, exposant les bassins à un risque d’emballement du déficit avec davantage de pertes par évaporations. Il faut repenser les usages de l’eau à l’échelle des bassins versants, entre utilisateurs, régions et entre pays partageant un même réseau hydrographique. Les désordres du Moyen Orient ont démarré dans un contexte de tensions sur les usages de l’eau suite à plusieurs années de sécheresse. ■




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