Public-privé : inventer la troisième voie

Frédéric VAN HEEMS
Directeur général de Veolia Eau France

Le nouveau directeur général de Veolia Eau France, Frédéric Van Heems, a fait le “serment d’Hydrocrate ». À travers le projet d’entreprise «Osons 20/20 !», il veut redonner à l’activité Eau sa place de leader et de référence des services d’eau et d’assainissement du futur, grâce aux 12 000 collaborateurs qui chaque jour, servent en France plus de 23 millions de consommateurs et 400 entreprises.  

 

Valeurs Vertes : Quels sont vos axes prioritaires ?
Frédéric Van Heems :
Le marché de l’eau en France a connu une profonde mutation et est au coeur des grands défis du 21ème siècle. Après un tour de France au plus près des territoires, nous avons conduit un travail collectif et collaboratif pour définir un plan d’actions.
A travers notre projet “Osons 20/20!”, nous simplifions, modernisons et digitalisons notre organisation, faisons de la proximité et de l’ancrage territorial une priorité, pour répondre au plus près des enjeux des consommateurs sur le terrain, gagner en efficacité, en rapidité et en qualité. Nous voulons responsabiliser les collaborateurs et impliquer les consomm’acteurs, passer de l’opacité et de l’invisibilité à la transparence et à la visibilité. Notre management doit être exemplaire. Nos valeurs et nos principes d’actions s’inspirent des mots clés, solidarité, responsabilité, innovation.
Nos défis sont nombreux : économiques, réglementaires, sanitaires, environnementaux et enfin sociaux.

 

V.V. : Comment développer un usage plus efficient de l’eau ?
F.VH :
Il nous faut développer, sortir de la spirale du “low cost” et être en mesure de proposer des services à la carte.
Avec les enjeux de la compétence GEMAPI* des territoires, nous devons proposer une offre de gestion du grand cycle de l’eau. Ce nouveau modèle veut passer de la Délégation de Service Public au Contrat de Service Public présentant de notre part, une garantie de transparence et d’implication dans les résultats.
Pour une utilisation efficace de l’eau, nous encourageons de nombreuses initiatives et expérimentations. Nous accompagnons les entreprises de l’agroalimentaire et les agriculteurs dans l’optimisation de leur cycle de l’eau. Nous produisons des engrais à partir de déchets organiques ou de boues d’épuration, à Arras, aux USA, ou en Grande-Bretagne où nous vendons, sous la marque Veolia Prow-Grow, des sacs d’engrais organiques aux particuliers. Et dans le cadre d’un partenariat avec la société STEF, spécialiste européen de la logistique du froid, nous avons créé Recyfish pour valoriser les coproduits de la mer en engrais agricoles.

 

V.V. : Que penser de la réutilisation des eaux usées, qui rencontre un vrai succès en Espagne par exemple ?
F.VH :
Le Reuse (la réutilisation des eaux usées) est une solution d’avenir pour économiser les ressources en amont, pallier les stress hydriques et diminuer le volume des rejets pollués. En France, cette pratique reste limitée dans ses usages puisque seulement 1% des eaux usées sont réutilisées, principalement pour l’arrosage de champs ou d’espaces de loisirs. À Tarbes, par exemple, nous menons une expérimentation pour la production de maïs et d’orge.
Nous avons également mis en place un partenariat de recherche très innovant avec la FNSEA sur ce que nous appelons le « Reuse » intelligent : nous réutilisons l’eau et développons un traitement adapté pour en conserver les éléments nutritifs : azote, phosphore, potassium.
Nous sommes prêts à vaincre les réticences dans ce domaine et recyclons, dans le monde, 371 500 000 m3 d’eaux usées par an dans 3 303 usines de traitement d’eaux usées.

 

V.V. : Quelles technologies peuvent résoudre le problème des perturbateurs endocriniens et des médicaments qui se retrouvent dans les milieux aquatiques ?
F.VH :
Ces produits présents et dispersés dans l’eau en petites quantités sont issus des pesticides et herbicides de l’activité agricole, des produits toxiques de la vie courante (produits ménagers, solvants, plastifiants) et des résidus des médicaments (antibiotiques, contraceptifs, traitements contre le cancer fortement dosés, etc). Ces perturbateurs endocriniens se retrouvent dans les milieux aquatiques car les barrières techniques ne sont pas en place aujourd’hui.
Les traitements s’effectuant de plus en plus en mode ambulatoire, 95% des polluants se retrouvent dans les eaux usées municipales.
Même s’il n’existe pas de réglementation, il nous faut intervenir en priorité dans les stations d’épuration. Certains pays, comme la Suisse, commencent à agir : elle vient de lancer un appel d’offres pour le traitement des rejets de l’ensemble de ses stations d’épuration.
Pour Veolia, c’est un sujet de recherche prioritaire. Dès 1990, nous avons réalisé les premières études sur les perturbateurs endocriniens. Et, depuis 2014, nous menons une expérimentation très prometteuse du traitement des résidus médicamenteux auprès d’un hôpital d’Aarhus, au Danemark. Les résultats sont concluants puisque jusqu’à 90% des résidus médicamenteux sont éliminés dans les eaux usées municipales. Des solutions existent, il faudra investir.

 

V.V. : Des collectivités reviennent à la régie, que leur proposez-vous ?
F.VH :
La gestion intégrée et durable des ressources en eau implique une logique de co-construction et de modes de relation autour de nouveaux “Contrats de Service Public” (CSP). Il nous faut inventer une troisième voie pour repenser ensemble une relation public-privé avec une logique de proximité. Elle pourrait s’inspirer de la co-détermination à l’Allemande avec des villes et des agglomérations qui vont co-gérer leurs ressources en eau avec un opérateur spécialisé. Il faut sortir de la spirale du low cost et du sous-investissement des infrastructures. La qualité de l’eau passe par l’entretien de son réseau !
Si, pour certains, le prix de l’eau paraît cher, c’est que sa tarification est souvent illisible. Le consommateur a du mal à comprendre la part de l’exploitation, celle de l’investissement, et la répartition de la facture entre collectivités et délégataires sur les postes eau et assainissement.
Le prix moyen en France, 3,98 euros pour 1 000 litres d’eau potable, comprend l’assainissement, les taxes et les redevances. Il est très bas si on le compare internationalement et sur le podium mondial en termes de rapport qualité-prix.

 

V.V. : Quel rôle le numérique peut-il jouer dans votre secteur ?
F.VH :
Les enjeux de préservation de la ressource eau exigent pour les entreprises d’apporter les solutions technologiques adéquates : réseaux d’eau intelligents, aide à la décision d’investissement par le big data, numérisation des réseaux, développement d’objets connectés en lien avec le comptage et les usages de l’eau…
Dans le secteur de l’eau, le numérique peut contribuer sur trois grands axes : • l’efficacité : toujours disposer de la bonne information, au bon endroit, au bon moment • la transparence : digitaliser les services, avec toujours plus d’interactivité et d’instantanéité : c’est que Veolia propose avec Hypervision 360. • l’implication de tous : collectivités et citoyens jouent un rôle essentiel pour la maîtrise des consommations et la préservation des ressources. Grâce au numérique, ils peuvent enfin devenir des consomm’acteurs.
Grâce à la digitalisation de nos services, le numérique doit ainsi nous aider à renouveler notre relation avec le consommateur, l’écouter davantage, réhumaniser la relation, rendre nos échanges plus directs, plus simples et plus sympathiques ! ■




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